De héros à zéro, le temps d’un processus

C’est l’histoire de Bruno. Bruno est directeur du marketing et des opérations dans une filiale d’une grande entreprise internationale. Il y a deux ans, son patron lui a annoncé qu’il songeait sérieusement à prendre sa retraite. Comme Bruno est le seul sur les rangs en interne à pouvoir aspirer au poste de direction de la filiale, il se prépare à démontrer tout son talent. Son patron lui parle plus souvent sous le sceau de la confidence de ses projets et lui fait comprendre qu’il est un des actifs importants de l’organisation. Sans lui, point de salut pour cette entité. Le temps passe, il file et, l’année dernière, le grand boss annonce son départ officiel pour la fin de l’année suivante. Le temps passe. La fin de l’année arrive, mais le grand patron semble avoir moins le gout de quitter. On dirait que ses projets de voyage autour du monde et de rénovation de sa maison de campagne ne l’animent plus autant qu’avant. En plus, il semblerait que la division ait « encore besoin de son expertise et de sa sagesse ». Bruno ne s’en fait pas trop, mais il commence à se poser des questions.

Bref, la Direction des RH du siège social débarque un beau matin pour rencontrer des candidats. Euh? des candidats, avez-vous dit? « Ben oui, mon Bruno. Tu sais, aux RH, ils ont des processus à respecter et ils veulent s’assurer que nous choisirons le meilleur candidat. Mais, ne t’inquiète pas, le meilleur, c’est toi! Sans compter que je crois bien rester plus longtemps que prévu pour assurer la transition. »

Toute une nouvelle pour le Bruno!

Récapitulons : de dauphin tout désigné, Bruno passe au rang du candidat interne qui sera « benchmarqué » avec d’illustres inconnus et, en prime, son patron fera office de belle-mère. Parions que son niveau de motivation est dans le tapis.

Un beau matin, Bruno est convoqué dans le bureau de la direction pour l’informer qu’il sera reçu en entrevue par un chasseur de têtes en charge du processus. La semaine suivante, il se retrouve dans le bureau du recruteur. Entre-temps, on demande à Bruno de réfléchir au plan stratégique de la division et de faire des propositions de plan d’affaires pour les trois prochaines années. Un mois plus tard, la v.-p. des ressources humaines débarque pour rencontrer les candidats finalistes. Bruno n’a eu aucun suivi ni feedback sur son document. Il a bien cherché à soutirer des informations via ses contacts et tenter de rencontrer son « mentor », mais il est devenu invisible (soit en réunion, soit en voyage d’affaires). Six semaines plus tard, c’est au tour du grand patron international de venir faire son tour. Après la démotivation, Bruno a retrouvé dans l’élaboration d’une nouvelle stratégie son énergie et son tonus. Après tout, on ne lui aurait pas demandé de faire cet exercice s’il n’était pas l’homme de la situation?

Après de longues semaines sans nouvelles, Bruno s’impatiente. Il pose des questions, laisse des messages. Aucune réponse. Jusqu’à la semaine dernière où son patron lui mentionne, entre deux portes, que la grande annonce devrait se faire sous peu. Il est donc au courant. Il sait, mais il ne veut rien lui dire car « le processus doit être respecté ».

Vendredi soir dernier, Bruno n’en peut plus. Il accroche son patron avant de partir et lui demande des explications. Sa candidature est-elle retenue? Peut-il avoir au moins des informations sur le plan d’affaires qu’il leur a soumis? La réponse est tombée comme un couperet : « Finalement, ce ne sera pas toi.» La phrase résonne et lui coupe le souffle. L’annonce du nouveau D.G. se fera le mardi suivant. Fin de l’histoire.

Pour Bruno, c’est comme une trahison. Il a un gout amer en bouche, une envie furieuse de coller sa démission sur-le-champ. Bien sûr, il est déçu mais il est en colère aussi. Pourquoi l’a-t-on mis à l’écart? Pourquoi l’a-t-on laissé espérer autant et depuis si longtemps?

Entendez-moi bien, je ne dis pas ici que Bruno devait être nommé. Je me questionne sur la façon dont cela s’est passé et sur le manque de courage des gestionnaires. On ne peut dire à un employé qu’il est le successeur de quelqu’un, qu’il est reconnu pour toujours avoir performé dans son emploi, et en même temps changer d’avis quant à la méthode de recrutement et modifier les règles du jeu sans le préparer ni lui donner d’explications. Cette histoire est vraie. C’est aussi celle de nombreux cadres ou professionnels qui sont passés de héros à zéro, le temps d’un processus de recrutement.

Au-delà du processus, il y a des individus. Ne nous cachons jamais derrière eux. Le respect, la confiance et la gestion des attentes devraient toujours être d’un intérêt supérieur.

Nathalie Francisci,
Chroniqueuse, Conférencière, Administrateur de sociétés
www.nathaliefrancisci.com

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