Êtes-vous du genre « high achiever » à tendance « workaholic »? Si oui, prenez quelques instants de votre horaire ultra-chargé pour réfléchir : « Tout cela fait-il du sens? », « Cela vous rend-il heureux? », « Après quoi courez-vous? » et surtout « Que cherchez-vous à prouver? » et « Ce qui vous amène à vouloir réussir vous conduit-il à votre perte? »
La recherche perpétuelle d’excellence est une dépendance qui nous amène à ne prendre que des risques calculés afin d’éviter l’échec. L’ultra-performant de type A veut réussir à tous les coups : l’échec n’est pas une option, il n’y a pas donc aucune place pour l’essai. Il peut même aller jusqu’à manipuler son environnement pour s’assurer de rester dans de très hauts standards (les siens en fait) et s’assurer de récolter les honneurs.
Thomas J. DeLong**, professeur à Havard, suggère à cet effet de créer un agenda et de faire la différence entre ce qui est urgent et ce qui est important. Apprendre à se concentrer sur la relation plutôt que sur la tâche à accomplir. Pour un maniaque de la réussite, c’est comme sauter dans le vide.
Je connais des gens qui ont sauté. Ils n’en pouvaient plus d’eux-mêmes, de la pression qu’ils se mettaient en permanence. Ils ont eu un jour un éclair, une prise de conscience et ils ont abandonné leur job, parfois juste à temps parfois trop tard. Ceux-là sont en épuisement professionnel, ou pire, ils sont passés de héros à zéro. Ceux qui ont réussi à s’en sortir ont suivi un long chemin de croix, ponctué parfois de rechutes, mais qui les a conduits généralement à un meilleur équilibre.
Nadine a quitté son emploi en janvier juste avant qu’il ne soit trop tard. Elle a décidé de prendre un temps d’arrêt. Mais à défaut de partir en trecking au Népal ou dans un monastère, elle est allée suivre une formation sur le leadership. Une façon d’échapper à son agenda. Puis à son retour, au lieu de fermer son blackberry, elle a répondu à toutes les propositions de déjeuner, de lunch, de café et autres rendez-vous. Elle a rempli à nouveau son agenda à bloc, encore plus occupée qu’auparavant… Un mois plus tard, elle décida de partir en voyage pour se reposer, mais elle prit soin de s’inscrire pour un marathon deux mois plus tard. Elle a donc consacré ses vacances à son entrainement. Une fois le marathon couru, les nouvelles propositions sont arrivées. Super jobs à responsabilités, mandats que l’on ne peut refuser. Elle s’est fait violence et a refusé les jobs, mais elle a accepté les contrats. Plusieurs. Son agenda s’est remis à déborder.
Pendant six mois, elle s’est étourdie d’activités. Elle a géré sa transition en bon « haut performant ». Puis un matin, elle a commencé à dire « non ». Elle a réalisé que désormais elle seule contrôlait son horaire. Aucun client, aucun patron ne lui dicteraient son agenda à l’exception d’elle-même. Elle a bloqué une journée par semaine pour ne rien faire : marcher, dormir, faire du sport ou lire. Elle est allée au cinéma, elle a lu beaucoup. Le processus de déprogrammation corporative pouvait donc commencer, trois mois plus tard.
Peu à peu, elle a commencé à apprécier le silence et les moments d’inactivité. Le sens de sa journée lui est revenu. Elle a coupé de moitié ses rencontres d’affaires et a appris peu à peu à établir les priorités. Tout n’est pas à livrer immédiatement. Elle a appris à différencier URGENT d’IMPORTANT. Elle a réalisé qu’il n’y avait que très peu d’urgences finalement et que seul ce qui avait du sens à ses yeux était important.
J’ai croisé Jean (nom fictif) récemment dans un restaurant du centre-ville. Il a commencé son processus de réinvention professionnelle il y a neuf mois. Il est passé exactement par les mêmes stades que Nadine. Bien qu’il me dise être plus heureux et qu’il apprécie pouvoir passer plus de temps avec ses proches tout en gardant une activité professionnelle soutenue, il m’a avoué qu’il se sentait encore coupable de ne plus être en mode production-réalisation. Il apprécie ne plus avoir de rendez-vous d’affaires à 7 h 30 le matin, mais il se sent « bizarre » d’accompagner son fils au soccer à 16 h.
La déprogrammation corporative est une lutte contre soi-même qu’il faut mener comme une croisade lorsque l’on est un haut performant.
Georges a passé le cap des douze mois. Il vient d’accepter un poste de CEO dans une PME. Chaque matin, il consacre 90 minutes à prendre le déjeuner avec ses enfants et il privilégie les lunchs avec son équipe de direction. Il sait désormais après quoi il court et ce qui le rend heureux. C’est un gestionnaire reconnu et apprécié de ses équipes qui n’a pas eu besoin de faire un virage à 90 degrés pour élever des lamas au Pérou et donner du sens à sa vie. Il s’entoure de hauts performants car il sait combien ils sont précieux pour une entreprise, mais il les surveille de près et les force à maitriser leur passion pour le travail. Il me confiait tout récemment combien il avait gagné en maturité et en sagesse car finalement, que nous reste-t-il si ce n’est l’empreinte qu’on laisse. Il vaut mieux susciter l’inspiration que l’admiration débordante de ceux qui jamais ne voudraient prendre notre place en raison des sacrifices que nous avons mis pour en arriver là.
**Thomas J. DeLong, professeur à Harvard et auteur du livre of Flying Without a Net: Turn Fear of Change into Fuel for Success a très bien défini ce qu’est un high achiever ou un haut performant si vous préférez. Vous reconnaissez-vous?
Suis-je un haut performant?
(voir le texte original en anglais** http://hbr.org/2011/06/managing-yourself-the-paradox-of-excellence/sb1)
Programmé pour atteindre les résultats. Rien n’arrête les ultra-performants. Ils ont le sentiment de perdre du temps en faisant preuve de transparence et en offrant leur support aux autres.
Incapable de déléguer et contrôlant. Les ultra-performants croient souvent (parfois à raison) que personne d’autres qu’eux-mêmes peuvent faire aussi bien.
Hyper motivé. Ils prennent tous les aspects de leur job très au sérieux et ils ont du mal à faire la différence entre l’urgent et l’important.
Insatiable besoin de feedback. Ils se soucient beaucoup de la perception des autres au sujet de leur travail et ils sont obsédés par la perfection donc ils ont tendance à ignorer les commentaires positifs pour se concentrer uniquement sur les critiques.
Compétitif. Bien que l’appétit pour la compétition soit sain, les ultra-performants se comparent de manière obsessive aux autres, ce qui les conduit tout droit à un sentiment d’insatisfaction, mauvais jugement et à commettre des erreurs de gestion de leur carrière.
Passionné par le travail. Ils oscillent entre le triomphe et l’agonie et ils peuvent passer du bonheur intense du succès à la déprime totale plusieurs fois dans une même journée.
Gestionnaire de risque modéré. L’inconnu leur fait peur car ils ne maitrisent pas les données qui leur permettent de mesurer leur succès et donc de risquer l’échec.
Toujours coupable. Ils se consacrent aux livrables mais, malgré ce qu’ils accomplissent, ils ont l’impression que ce n’est jamais assez.
Si vous avez répondu « oui» majoritairement, et ce, en toute honnêteté, sachez que votre « déprogrammation corporative » (je préfère ce terme plutôt que « désintoxiquer », mais convenons que nous nageons dans les mêmes eaux) vous prendra six à douze mois. Cela dépend de l’intensité de votre « pathologie » et de votre degré d’engagement dans la thérapie.
Nathalie Francisci, CRHA
Chroniqueuse, Conférencière, Administrateur de sociétés
www.nathaliefrancisci.com