Dollar et emploi: l’envolée à double tranchant

Le huard et l’emploi ont décollé ensemble. Pour la première fois depuis trente ans, le dollar canadien affiche une valeur égale, voire légèrement supérieure, à celle du billet vert. Les économistes s’accordent pour lier cette embellie à la croissance remarquable des créations d’emploi ces derniers mois : le taux de chômage bat des records (moins de 6 %) et 51 000 nouveaux emplois ont été créés en septembre dernier. En comparaison, à peine deux fois plus d’emplois ont été créés aux États-Unis à la même période, pour une population près de dix fois supérieure. Mais le cercle vertueux pourrait se révéler plus vicieux qu’il n’y paraît…

Des contrecoups difficiles

Des voix s’élèvent pour dénoncer les effets pervers de cette brusque hausse de la monnaie sur l’emploi. En première ligne, les secteurs exportateurs risquent d’accuser le coup. La baisse des exportations pèse particulièrement sur les manufacturiers, mais aussi sur certains services. Les cabinets de consultants, par exemple, perdent de leur compétitivité sur le marché américain.

« La hausse du dollar canadien a été trop forte et trop rapide pour permettre au marché de s’adapter », explique Claude Balthazard, directeur du HR Excellence à l’HRPAO. Les employeurs impactés ont deux options pour contrer la croissance du prix de leurs produits : accroitre rapidement leur productivité ou restreindre leurs capacités de production. Résultat les employeurs doivent réduire leurs coûts : gel des salaires, coupe dans les budgets de formation et d’équipement, arrêt des recrutements, voire licenciements en cas de grande difficulté. Les secteurs manufacturiers et de transformation de ressources ont ainsi perdu 3 000 emplois en septembre, principalement en Ontario et au Québec. Plus 290 000 emplois manufacturiers ont de ce fait disparu depuis novembre 2002…

Ainsi, si les créations de postes totales continuent de croître, certains secteurs commencent à se fragiliser et les conditions de travail tendent à se détériorer malgré la bonne santé de l’économie canadienne. « L’instabilité gagne du terrain », s’inquiète Erin Weir, économiste pour le Congrès du travail du Canada. « Les emplois de la fabrication, généralement bien rémunérés et stables, ont tendance à être remplacés par des postes aux salaires bas dans les services et le commerce de détail. »

Une touche d’optimisme

Mais le tableau n’est pas tout noir, car la montée du huard pourrait profiter aux secteurs en pénurie de talents : technologies de l’information, finance, ingénierie… Avec l’équité monétaire, les salaires sont maintenant à valeur égale des deux côtés de la frontière. Un soulagement pour les employeurs en quête d’experts convoités qui n’ont plus à surenchérir pour atteindre des rémunérations attirantes. Les Canadiens ayant fait le choix de l’expatriation seraient incités à rentrer au pays et la relative fuite des cerveaux vers les États-Unis tendrait ainsi à se tarir.

De là à attirer nos voisins, il y a un pas! Comme le rappelle Claude Balthazard, les barrières à l’importation des talents existent toujours : politiques d’immigration, reconnaissance des professions réglementées,… Selon lui, les marchés qui peinent à recruter des experts, comme les technologies de l’information, optent rarement pour des recrutements au-delà des frontières, car ceux-ci engendrent de trop nombreuses complications. Ils préfèrent le recours à la sous-traitance états-unienne, aujourd’hui bien meilleur marché.

« Certes, les conséquences de la hausse du huard sont encore limitées, conclut Claude Balthazard, mais elles pourraient s’aggraver si l’envolée persiste. » La baisse des investissements nuirait, en effet, à long terme à la compétitivité des entreprises canadiennes. « Si la Banque du Canada ne prend pas des actions correctives, des milliers d’autres emplois manufacturiers vont disparaître », prévient Erin Weir.

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