Entrevue :
Louis Tassé, vice-président des ressources humaines chez Astral Média, à Montréal.
Louis Tassé est un homme passionné par ce qu’il fait. Il ne changerait de profession pour rien au monde. Ce qui l’intéresse avant tout dans son métier, ce sont les rapports qu’il tisse avec les gens et non les échelons à gravir pour parvenir au sommet. Le jour de ma rencontre avec M. Tassé, Kraft Canada annonçait qu’elle fermerait son usine de LaSalle en 2005. Cette décision entraînait la mise à pied de 235 travailleurs. Cette nouvelle a sincèrement affecté M. Tassé qui a débuté sa carrière dans cette usine. Pourriez-vous me décrire votre parcours professionnel? J’ai commencé à travailler dans le domaine des ressources humaines après avoir terminé mon baccalauréat en relations industrielles à l’Université de Montréal, en 1983. Pour compléter ma formation, j’ai pris des cours en santé et en sécurité. Car selon moi, assurer la santé des employés au travail est une chose primordiale. Mes premières expériences professionnelles ont donc été en santé et en sécurité : j’ai d’abord travaillé à l’usine General Food de LaSalle – celle qui ferme ses portes en 2005- puis chez Unisys Canada Inc., un manufacturier informatique. Ensuite, mon désir d’influencer les organisations m’a amené à décrocher, à 27 ans, un poste de directeur des ressources humaines chez Caradon Ltée, une usine d’extrusion de l’aluminium. Je me suis retrouvé dans un environnement on ne peut plus conflictuel. À cette époque – là, il y avait deux accidents et deux griefs par semaine. Mon rôle était de les gérer. Au début, j’essayais de régler tous les problèmes par moi-même mais je me suis vite rendu compte que c’était impossible. J’avais besoin d’aide. J’ai alors appris aux dirigeants à être pro- actifs et à mieux gérer leurs employés. C’est ainsi que je suis devenu formateur de gestionnaires au sein de l’entreprise : je développais les habiletés de leadership des dirigeants et le travail d’équipe. Car je crois que leadership et travail d’équipe vont de pair. Puis j’ai exercé les mêmes fonctions chez BICC Philipps Inc. et chez Pirelli Cables Inc., deux fabricants de câbles électriques. Là-bas, j’ai agi en qualité d’agent de changement. Le but de mon travail était d’aider ces entreprises à être le plus efficace possible dans la gestion de leurs employés. BICC Philipps Inc. et Pirelli Cables Inc. avaient connu des difficultés au niveau compétitivité et profitabilité et désiraient effectuer des changements. Mon rôle a donc été de réorganiser les relations de travail au sein de ces organisations afin qu’elles soient plus productives. J’ai également obtenu que la direction délègue ses pouvoirs de décision aux employés. Chez Pirelli, ces derniers avaient le droit d’acheter des équipements. Après ces deux emplois, j’ai voulu explorer un autre aspect des ressources humaines que je ne connaissais pas, le côté administratif. Je suis parti travailler chez Peacok Inc., puis chez Velan Inc., deux entreprises manufacturières. Et en tant que directeur des ressources humaines, j’ai réorganisé les outils, les programmes et les structures, telles les échelles de salaire. Pourquoi avoir choisi ce métier? Pour moi, les ressources humaines ne sont pas juste un travail ou une façon de gagner ma vie. Si j’ai choisi ce métier, c’est par vocation. J’ai un grand besoin d’influencer les organisations et d’aider les individus, gestionnaires et employés, à réduire leur stress et à être plus efficaces. Dans toutes les organisations où j’ai oeuvré, j’ai amélioré les relations de travail. J’ai fait prendre conscience aux gestionnaires et aux employés que travailler ensemble permet d’être plus efficace. À l’ère de la mondialisation, les multinationales peuvent fermer des entreprises à certains endroits et en conserver à d’autres, si bien que les entreprises d’une même compagnie sont en compétition les unes avec les autres. Mon objectif a toujours été d’augmenter la compétitivité entre les usines pour éviter qu’elles ne ferment et de faire de la motivation des salariés un facteur de durabilité d’une entreprise. Comment avez-vous géré votre carrière? Aviez-vous un plan de carrière? Non, je n’ai jamais eu de plan de carrière, je fonctionne plus par intuition. Je me suis laissé guider par ma mission et ma vision. Si je suis devenu directeur des ressources humaines à 27 ans, ce n’est pas parce que j’avais un plan de carrière mais parce que j’avais un besoin de me réaliser. J’ai été confronté à des situations difficiles mais je suis toujours resté calme et positif et cette attitude m’a permis de réussir. J’ai toujours su me faire apprécier des employés, des syndicats et de la direction. Il y a quatre ans, j’ai fait un MBA à l’Université du Québec à Montréal pour vérifier que ma gestion des ressources humaines était toujours à la page. Je me suis aperçu que non seulement elle était à date mais qu’elle était avant-gardiste. Pourquoi être allé chez Astral Média, le domaine des communications est pourtant radicalement différent du secteur manufacturier? Si j’ai choisi de travailler chez Astral Média, c’est parce qu’il y a une compatibilité au niveau des valeurs. Je partage les mêmes valeurs qu’Astral Média, à savoir la performance, l’intégrité, le respect et l’engagement. Le président d’Astral Média et le président des ressources humaines les partagent également. Quelles sont les différences entre la gestion des ressources humaines en secteur manufacturier et dans le domaine des services? En quoi avez-vous pu transférer vos expériences du manufacturier aux services? Dans le domaine des services, il est évident que ce sont les employés qui sont les ressources, par opposition à un produit ou une machine qui distingue les entreprises manufacturières de leurs compétiteurs. Dans le domaine des communications, ce sont les employés qui font la différence. Le rythme y est plus rapide, plus dynamique et l’environnement plus créatif que dans le secteur manufacturier. Néanmoins, faire la promotion du leadership et de la communication, qu’on soit dans le secteur manufacturier ou celui des services revient exactement au même. En quoi, selon votre expérience, la fonction RH est en transformation? La fonction RH a été grandement affectée par la mondialisation. Elle a grandi en importance depuis que la compétition est plus féroce, aussi bien au niveau des entreprises que des employés. Les organisations se doivent d’investir dans leurs salariés si elles veulent être plus efficaces et survivre. Il faut qu’elles créent un environnement sain et stimulant pour espérer conserver leurs salariés. De nos jours, la fonction RH s’occupe plus de la motivation et du bien être de ces derniers, et moins de l’aspect administratif, grandement facilité par les systèmes informatiques. Quel est, selon vous, le nouveau profil des gens en ressources humaines? Il y a deux profils en ressources humaines : les gens, qui ont un profil généraliste et aiment les relations avec les autres, deviendront, comme moi, agent de changement et ceux qui aiment les chiffres pourront travailler comme consultants et gérer des régimes de retraite. Dans toute carrière, il faut être soi-même. Mais en ressources humaines on a affaire à des êtres humains. Ce qui est plus difficile à gérer. À quels défis doivent faire face les professionnels en ressources humaines d’aujourd’hui? Même si la fonction RH est très importante dans une entreprise, ce n’est pas nécessairement la plus écoutée. Quand on est vice-président de ressources humaines, on a toujours besoin de vendre l’importance de sa fonction. Il est plus difficile de prouver la rentabilité d’un investissement de 100 000$ dans la formation que dans une machine. Il faut être capable de convaincre la direction et les employés en avançant des arguments qui ont du poids mais aussi en démontrant qu’on a raison par nos actions. Je ne suis, par contre, pas convaincu qu’on puisse convaincre avec des chiffres. Quelle est votre plus belle expérience en qualité de gestionnaire des ressources humaines? La pire? Ma plus belle réalisation est d’avoir décidé de travailler dans le domaine des ressources humaines où je m’épanouis chaque jour. De plus, j’ai toujours respecté mes valeurs, même si parfois je me trouvais dans des situations pas toujours faciles. Ce n’est pas nécessairement ce qu’il y a de plus rentable à court terme mais à long terme, ça l’est. Le constat que j’ai fait en venant travailler pour Astral Média a été l’importance de partager les mêmes valeurs que celles de l’entreprise. J’aurais dû m’en rendre compte avant. Reste à savoir si j’aurais fait des choix différents. Je ne pense pas. Le conseil que je donne aux gens en recherche d’emploi, c’est d’aller dans une entreprise où il y a une compatibilité au niveau des valeurs. C’est ce qui fait, selon moi, qu’on s’épanouit dans notre vie professionnelle. Quels sont vos défis actuels? Aujourd’hui, mon défi est de m’adapter à ma nouvelle entreprise. Même si je m’y suis senti à l’aise dès le début, grâce à la compatibilité des valeurs, je veux pouvoir être efficace dans mes responsabilités. Astral Média est une compagnie qui va bien et qui engrange des bénéfices. Mais dans le contexte actuel, il est plus difficile de réaliser des acquisitions et de progresser. Mon défi est donc d’amener, grâce mon expérience, une croissance par une saine gestion, une gestion pure mais aussi une gestion des employés. On se doit d’optimiser à l’interne notre façon de faire. Et ça, je dois le faire comprendre aux membres de mon équipe.