Entrevue :
Patrick James Bruneteau, Directeur Général de B & Associés à Paris et Senior Partner chez Matteson Management Inc. à Toronto.
– Que s'est-il passé depuis la dernière parution de votre guide au printemps 2000 ? En mai/juin 2000 nous étions, tant en France qu’en Europe, en pleine euphorie. Les cabinets d’executive search et de recrutement de cadres et dirigeants ne savaient plus très bien s’ils allaient faire 35 ou 50% de plus en chiffre d’affaires par rapport à l’année précédente. Les entreprises recrutaient à tour de bras, notamment dans le high tech, l’Internet, les télécoms, pour ne citer que les secteurs les plus porteurs de l’époque. Les Vivendi, Alcatel, France Telecom, et de nombreuses autres sociétés tournées vers la communication, les media et l’Internet flambaient en bourse, et donnaient quelque peu le vertige. La nouvelle économie battait son plein mais les résultats, eux, commençaient déjà pour certains à se faire attendre. – Quelles sont les attentes des candidats en 2002 versus 2000 et comment les cabinets y répondent-ils en Europe versus au Canada ? Nos interlocuteurs sont en premier lieu nos clients, et bien sûr les candidats que nous contactons pour nos recherches. Les attentes des clients d’abord ; ceux-ci sont plus sélectifs et moins enjoués à offrir n’importe quel niveau de rémunération aux candidats, même si ces derniers ont parfois un profil de star (notamment dans le secteur de la finance de marché). Les entreprises sont toujours à la recherche de belles têtes mais gèrent leur recrutement plus drastiquement. Les créations de postes ont été largement réduites, on gère le renouvellement, et on économise sur les coûts salariaux entre autres. Du côté des candidats, l’offre des entreprises étant moins élevée qu’il y a deux ou trois ans, ils se retrouvent à présent sur un marché du travail où la compétition devient plus féroce, les salaires moins attrayants, sans parler de ceux qui ont cru dans la nouvelle économie comme étant une manne inépuisable. Il y a de sérieuses déceptions, et l’on revient à un rythme de crise qui s’étire, s’allonge, et qui donne l’impression de ne pas finir. On croyait à un coup de froid sur l’économie mais c’est aussi une forme de gel, avec pour spectacle peu réconfortant les résultats désastreux de quelques grands groupes français, européens et internationaux. Les candidats eux-mêmes ne savent plus toujours dans quelle direction se tourner. – Quelles sont les nouvelles attentes des entreprises face aux Chasseurs de têtes ? Les entreprises clientes sont devenues plus exigeantes vis à vis des cabinets sur différents plans : il y a notamment une forte propension « à discuter, voire négocier » les honoraires, puis il y a une pression accrue sur la rapidité de la recherche et la présentation de candidats. Il y a aussi, chose plus nouvelle, une tendance à faire jouer la concurrence de manière plus forte, à imposer une forme de partenariat unilatéral. Néanmoins le « contingency » largement présent en Grande Bretagne, aux USA et au Canada peine à se faire reconnaître dans les pays latins ou germaniques. Enfin, les entreprises clientes veulent trouver dans leur cabinet un vrai conseil en ressources humaines, en matière salariale, en matière de management des équipes, et parfois un coach. C’est toujours un partenaire qui traite pratiquement d’égal à égal avec le Président, le DG ou le VP ressources humaines. Le phénomène de décentralisation de la fonction RH en Amérique du Nord est-elle partagée côté européen ? Il est difficile de parler de vraie décentralisation de la fonction RH, en France notamment, car la France est un pays à part, où pratiquement tout se décide dans la capitale. Pour exemple, il suffit de mentionner que 99 % des cabinets de chasse de têtes pour le middle top et le top management sont à Paris. Parmi les grands cabinets européens et internationaux, seul le suisse Egon Zehnder International et le français Hommes & Entreprises-Amrop ont tous deux un bureau à Lyon. En ce qui concerne les entreprises, il est clair qu’il y a des responsables des affaires sociales là où il y a des usines ou de la main d’œuvre importante. Seules les entreprises régionales d’une certaine taille ont une véritable fonction ressources humaines qui selon le cas, est en province ou à Paris. Dans le reste de l’Europe, en Allemagne, en Angleterre, en Italie, en Espagne, les activités se sont organisées régionalement depuis des décennies, sans qu’un pouvoir politique l’ait décrété plus ou moins comme en France. En fait, la décentralisation se fait naturellement, à partir du moment où les provinces ou départements deviennent autonomes, tant sur le plan économique que social. L’état d’esprit des français n’est pas celui des allemands ou des britanniques, le changement se heurte aux habitudes ancrées et à la peur d’être trop téméraires. Fait-on appel à un cabinet de recherche de cadres et dirigeants pour les mêmes raisons de chaque côté de l'océan ? Oui, il est clair qu’une recherche de cadres confirmés ou de dirigeants se fait le plus souvent pour des raisons quasi identiques ; les meilleurs d’entre eux (les cadres et dirigeants concernés) ne sont pas à leur fenêtre en train de guetter l’offre d’un chasseur. Il faut en France et en Europe, comme de l’autre coté de l’Atlantique, connaître son marché, savoir identifier les candidats à fort potentiel, les dirigeants prometteurs, évaluer leur cursus mais aussi leur parcours. Et puis, il faut savoir analyser la probabilité d’une prise de la greffe dans l’entreprise car l’entreprise, on l’oublie trop souvent, c’est d’abord des hommes et des femmes. Une équipe soudée, motivée, multiculturelle et responsable, c’est une équipe gagnante ! Est-il vrai que l'on assiste à une "fuite des cerveaux français" vers le Canada ? Les médias s’emparent souvent d’un sujet phare… Il n’est pas rare en effet que la France laisse partir et facilite le départ de certains cadres ou experts de très grande qualité car on n‘apprécie pas les talents de la même manière ici ou là. Il est vrai que nombre de nos jeunes ingénieurs et quelques-uns de nos plus illustres chercheurs se sont vus offrir des postes tout à fait intéressants tant aux USA qu’au Canada. Le Canada est encore un pays qui fait rêver et qui attire les Français. Ils y voient un modèle certes américain mais tempéré par les aspirations d’origine européenne (notamment britannique et française), par une multitude d’ethnies qui lui donnent ce caractère exceptionnel, multiculturel dans le sens le plus large, et par le respect inné des différences qui sont considérées comme richesses à part entière. Mondialisation des marchés, mondialisation du recrutement, y croyez-vous ? Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir…. La mondialisation des recrutements du top management a démarré il y a une petite dizaine d’années. Nous avons des clients/lecteurs de notre ouvrage qui nous demandent de les rencontrer pour discuter des options à prendre et du cabinet ou du consultant à sélectionner afin de pourvoir un poste de Directeur de la recherche et développement pour un grand groupe pharmaceutique d’origine française. Ce poste peut être basé en Grande Bretagne, en France, Allemagne, USA ou ailleurs, les usines étant très décentralisées, et l’important ce sont les qualités de ce cadre dirigeant, lui-même Manager à distance, avec une vocation globale de ses responsabilités. L'industrie de la recherche de cadre et de dirigeant connaît un sérieux ralentissement depuis un an en Amérique du Nord (on parle d'une baisse de 1/3 aux États-Unis). L'Europe connaît-elle le même ralentissement ? L’executive search en France et dans la plupart des pays d’Europe a démarré son ralentissement six ou sept mois après les USA et le Canada. Beaucoup pensaient qu’on passerait peut-être à travers cette crise. Le réveil en octobre/novembre 2001 a été un peu dur et puis cela a perduré. On s’est enfoncé dans la plupart des secteurs vers un ralentissement atteignant des pointes de 35 à 38%, avec des pics exceptionnellement douloureux (+ de 55%) dans les telecom, le high tech et l’Internet. La banque/finance a beaucoup souffert en Grande Bretagne et en Allemagne notamment. Comment agissent ces ralentissements d'activité sur cette industrie ? La profession a déja connu ce type de crise mais probablement moins larvée, moins durable, en 1991-1994. Quand une industrie est en crise, quand ses revenus et ses richesses se tarient, il n’y a pas trente-six solutions : il faut alléger les frais fixes, la masse salariale dans les cabinets, réduire tout investissement non productif, et se recentrer sur son core business, si toutefois on s’est pris au jeu d’une forme de diversification malheureuse. Des cabinets disparaissent, ou le nombre de consultants décroit soudainement, les plus malchanceux vont au tapis. Comment voyez vous l'évolution de la profession ? La crise économique actuelle est certes dure à gérer pour une bonne majorité de cabinets. Seuls les cabinets travaillant dans le luxe, la santé et les loisirs trouvent toujours le vent assez porteur. Quant aux autres, ils s’organisent pour offrir à leurs clients des prestations annexes et développent leur réseau de contacts et relations. La profession tant en France qu’en Europe est une profession dûment reconnue, dont le principe d’existence n’est à priori définitivement pas remis en cause dans les états démocratiques. La percée sur les pays de l’Europe de l’Est et de la Russie est assez démonstrative d’un changement d’esprit en profondeur, et d’un système économique qui tend tout doucement vers une économie de marché bien connue. La profession est en semi-convalescence mais des signes avant-coureurs et prometteurs font penser qu’un beau matin on se réveillera avec des missions pleins les bras, et des clients et candidats avec le sourire.
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