Loin de n’être qu’une vertu, trop d’empathie au travail serait aussi contre-productif, selon le professeur de gestion Adam Waytz. On se penche sur la question de la fatigue de compassion.
Personne ne conteste l’importance de se mettre à la place des autres. Cette qualité se révèle essentielle, tant dans la gestion des employés que dans l’anticipation des besoins des clients.
Et c’est sans compter qu’elle favorise un climat de travail sain. On n’a qu’à imaginer un instant ce à quoi pourrait ressembler notre quotidien si notre patron en était totalement dépourvu.
« Des études menées auprès de la clientèle montrent qu’un leadership empathique mobilise beaucoup plus les employés, soutient Yarledis Coneo, conseillère en développement organisationnel. Et cela a également un effet bénéfique sur la santé mentale, puisque les employés se sentent utiles en offrant leur aide. »
Mais selon le professeur de gestion Adam Waytz, l’empathie serait une lame à deux tranchants, et en faire preuve à outrance amènerait son lot de problèmes personnels et organisationnels.
Le principe du verre trop plein
Dans son article « The Dark Side of Empathy » publié dans la Harvard Business Review, le professeur explique qu’à force de sacrifier ses propres besoins au profit des autres, on finit par épuiser sa réserve de compassion. Et à devenir insensible.
Les travailleurs œuvrant dans des secteurs comme la santé, l’éducation ou la philanthropie sont particulièrement à risque. Cette fatigue de compassion les rend plus susceptibles de commettre des erreurs, de s’absenter du boulot ou même de quitter leur emploi.
Il n’est pas rare de voir des personnes proposer à leurs collègues de les décharger de certaines tâches alors qu’ils en ont eux-mêmes plein les bras. « Ils ont le syndrome du superhéros et se sentent coupables s’ils n’apportent pas leur soutien », explique Yarledis Coneo. Ce sentiment de culpabilité augmente le stress au travail.
Personne n’a en lui une source intarissable de compassion. Une étude américaine publiée dans le Journal of Applied Psychology a révélé que les gens qui prêchent par excès d’empathie ont plus de difficulté à maintenir un équilibre entre la vie personnelle et le travail.
« Plus on consacre ses énergies à écouter les problèmes de ses collègues et à leur prêter main-forte lorsqu’ils sont débordés, moins il en reste une fois à la maison », ajoute la conseillère en développement organisationnel.
Outre ces considérations relationnelles et psychologiques, un employé qui ressent trop la douleur des autres peut compromettre son sens éthique. C’est ainsi que par loyauté envers nos collègues, on peut aller jusqu’à dissimuler certains faits répréhensibles pour les protéger. Plusieurs études montrent que les gens sont plus susceptibles de tricher et de mentir lorsque c’est pour le bien d’une autre personne.
Trouver un juste milieu
Comme chaque personne est différente, comment savoir si notre compassion va trop loin?
« L’empathie devient problématique lorsqu’on dépasse ses propres limites », précise Yarledis Coneo. Pour arriver à les définir, encore faut-il bien se connaître et apprendre d’abord à s’aider soi-même pour mieux aider les autres. « Surtout, rappelons-nous que lorsqu’on dit non à quelqu’un, on dit oui à soi-même et à d’autres priorités », ajoute-t-elle.
Ce n’est non plus pas parce que les autres autour nous parlent d’un problème que nous devons nécessairement agir. « On doit leur demander s’ils ont besoin d’aide et décider ensuite si on souhaite la leur accorder, selon nos valeurs et nos limites personnelles », souligne-t-elle.
Malgré tout ce qui précède, il demeure que les avantages de faire preuve d’empathie en milieu l’emportent grandement sur ses inconvénients.