Par André Giroux
Le ministère du Travail du Québec organisait récemment un forum sous le thème La productivité et l’emploi : une question d’organisation et de créativité. Ce fut l’occasion de présenter diverses expériences de changements organisationnels, avec leurs succès et leurs limites. Il n’y a ni recette miracle, ni processus universel menant au succès, mais des valeurs communes constituent les ingrédients de base d’une réussite. Les organisateurs du forum soulignent qu’une « démarche visant à accroître la productivité repose sur des valeurs de travail partagées :
- Un climat de confiance et de concertation entre employeur et employé;
- Une attitude d’ouverture au changement;
- Une compréhension mutuelle des intérêts en jeu. Il est aussi ressorti que, dans toute organisation, c’est le capital humain qui est à la base d’un accroissement de la productivité et de la souplesse que doit se donner l’entreprise ou l’organisation pour demeurer concurrentielle. »
Les 300 participants au forum ont évalué en ateliers quelques dizaines de cas concrets. Celui de la SSQ Groupe financier, par exemple. L’entreprise syndiquée compte un millier d’employés. Elle gère un million de dossiers et dispose d’un actif sous gestion de près de deux milliards de dollars. L’ancienne structure comportait une lacune. La spécialisation des tâches des employés entraînait l’absence d’un interlocuteur unique pour le client. Le changement s’est opéré en deux phases. D’une part, la fusion des services de cotisation et d’émission de certificats et la création d’une structure unique basée sur la clientèle.
La deuxième phase, en cours actuellement, consiste à créer des équipes de travail de trois ou quatre personnes, qui assument des responsabilités plus grandes pour des clientèles spécifiques. Chaque équipe est responsable d’un portefeuille de clients bien identifiés. Un aspect important de la réorganisation comporte l’introduction de nouvelles technologies. L’introduction de ces changements s’appuie sur quatre axes :
- L’expression d’une vision claire de la manière dont la transformation sera effectuée;
- La mise en œuvre de programmes de formation et de perfectionnement;
- L’information des employés sur les changements à venir, les défis qui en découlent et l’implication du syndicat dans la mise en œuvre des décisions;
- L’instauration d’un climat de confiance et la prise en compte des attentes des employés.
L’effort de formation fut important. Entre 1999 et 2002, les employés ont participé avec plein traitement à une diversité de cours dans des institutions spécialisées en informatique, au cégep ou à l’université. Par exemple, 50 personnes ont bénéficié de 440 heures de formation sur la maîtrise du français, 60 employés ont reçu une formation en bureautique d’une durée totale de 500 heures et tous les employés ont reçu une formation sur les processus « prime ou adhésion » durant quatre semaines. La participation du syndicat et la stratégie de communication ont contribué à apaiser l’insécurité des employés et à diminuer le niveau de résistance au changement. La direction s’est aussi montrée ouverte à accepter les mutations des personnes qui ne pouvaient accomplir les nouvelles tâches et ce, sans diminution de salaire. Rémunérer ses employés en chômage, malgré la crise! CMP Solutions Mécaniques Avancées produit de petites séries variées comprenant plus de 1000 produits finis. Ils nécessitent la fabrication de 18 000 pièces distinctes. Son chiffre d’affaires s’élevait en 2003 à 80 millions de dollars. L’entreprise embauchait quelque 425 personnes, non syndiquées.
L’entreprise a commencé à innover dans sa gestion de la production du travail en 1999. L’innovation se base sur ces éléments : • Considérer tout le personnel comme un facteur de production fixe. Les mises à pied constituent une solution de dernier recours;
- La qualité du personnel au plan des compétences techniques et relationnelles, une stratégie de recrutement axée sur les meilleurs employés disponibles et l’offre de formation;
- La flexibilité fonctionnelle des salariés. L’entreprise vise à recruter des personnes dynamiques, aptes au travail d’équipe et possédant des compétences techniques ainsi qu’une flexibilité opérationnelle et des habiletés relationnelles.
Ces qualités permettent aux employés de s’adapter facilement à la production de lots différents. CMP a créé des cellules de production pour certains processus de travail. Elles bénéficient d’une plus grande autonomie dans l’organisation interne de travail et dans la résolution de problèmes. Le contremaître assume surtout un rôle de leader et de formateur. Cette méthode de travail favorise une meilleure répartition du travail et évite les goulots d’étranglements. L’entreprise veut recruter les meilleurs, et elle accepte d’en payer le prix. Lors de l’effondrement de l’un de ses clients, Nortel, en 2001, CMP a perdu 60% de sa production annuelle. Les premières mises à pied du personnel régulier ne survint que cinq mois plus tard. Au cours des quatre premiers mois, les employés ont bénéficié d’une formation multidisciplinaire, technique et managériale et ont participé à des projets spéciaux. Au cours du cinquième mois, l’entreprise a licencié 180 personnes tout en comblant les prestations d’assurance-emploi jusqu’à hauteur de 90% du salaire. Les employés mis à pied conservaient de plus leurs avantages sociaux. Au septième mois, quelque 50 personnes furent mises à pied, tout en touchant l’équivalent de 70% de leur salaire. Le programme de soutien du revenu a pris fin neuf mois après le début de la crise alors que 70 personnes furent mises à pied de façon permanente.
Ces pratiques de gestion ont minimisé le taux de roulement. Il s’élève à 6,6% pour l’ensemble du personnel et à 1% pour les employés de la catégorie A, selon la méthode de recrutement connue aux États-Unis sous le nom de « Topgrading ». Le taux d’absentéisme ne dépasse pas les 2,5%. L’entreprise s’est bien remise du choc Nortel puisque le nombre d’employés est passé de 190 en 2001 à 425 en 2004. De plus, le programme de soutien adopté pendant la crise de 2001 a fortement renforcé la confiance des salariés envers la direction. Dans les PME… FRP Groupe-Conseil offre des services en développement organisationnel et management stratégique. Elle comptait 13 employés jusqu’à l’acquisition de FDO Axion, en 2004. Depuis, elle en compte 50. Afin de recruter un meilleur personnel et de le retenir au sein de l’entreprise, FRP a mis ses employés dans le coup. Chaque année, l’ensemble du personnel participe à une réunion de deux jours. C’est l’occasion du bilan de l’année et de l’établissement des objectifs pour celle qui commence. Un plan d’action est aussi élaboré en groupe.
Cette réflexion permet de choisir des thèmes novateurs sur lesquels se feront une veille stratégique. Chaque employé fait une recension des écrits sur un sujet précis au cours de l’année. Les résultats sont transmis au groupe, qui en profite pour discuter des pistes d’intervention à privilégier. L’avantage : l’entreprise et les employés y gagnent de nouvelles connaissances sur les tendances actuelles, contribuant ainsi au développement de l’employabilité du personnel. Cet aspect incite généralement le personnel qualifié à rester dans une entreprise. Chaque employé dispose d’un budget annuel de formation qu’il utilise en fonction de ses besoins. Il lui appartient de proposer les activités de formation auxquelles il veut participer. L’entreprise tient régulièrement des cliniques au cours desquelles un conseiller présente un cas difficile où il est intervenu.
Cette pratique favorise le partage des expériences et des acquis, contribue à la formation des plus jeunes et favorise le maintien d’une philosophie d’intervention commune. Chaque employé rencontre son superviseur immédiat à chaque semaine. C’est l’occasion de faire le point sur les mandats en cours et à venir et sur les préoccupations de l’employé. Cette rencontre favorise le développement d’un sentiment d’appartenance à l’organisation, d’autant plus que les professionnels travaillent généralement chez les clients, à l’extérieur du bureau. Les employés bénéficient également de la flexibilité du temps de travail sur une base hebdomadaire et annuelle afin d’équilibrer les périodes de travail intensif avec des moments de récupération. Finalement, les congés payés sont mobiles et peuvent être pris tout au long de l’année. Une prime au rendement complète les conditions de travail.
L’ensemble de ces mesures a permis à l’équipe de FRP Groupe-Conseil de se consolider et de devenir un lieu d’échanges et de transfert continu des connaissances. Elles ont aussi facilité le partage des valeurs et de la mission de l’entreprise. Cette expérience permet de dégager certaines enseignements :
- La mobilisation des ressources humaines est un processus qui requiert du temps, de la patience et de la rigueur au sein de l’équipe;
- La gestion quotidienne d’une équipe permet de mieux comprendre la réalité des clients, facilitant ainsi l’intervention;
- La mise en place de mesures complémentaires pour favoriser et maintenir le sentiment d’appartenance des personnes recrutées et les inciter à rester dans l’entreprise.
Ces diverses expériences, dans des entreprises de diverses taille et de différents milieux, dans la production de biens ou de services, rendent compte que les entreprises prennent de plus en plus conscience que la productivité d’une entreprise ne peut se passer de la qualité de sa main-d’œuvre. Forum La productivité et l’emploi : une question d’organisation et de créativité.