Chers recruteurs de 40 ans et plus, souvenez-vous de la belle époque quand il y avait des candidats à profusion et que nous n’avions qu’à lever le petit doigt pour les attirer dans nos filets. À l’époque, nous passions plus de temps à négocier des frais d’agence média pour diffuser nos annonces dans les journaux et attendre sagement le lundi pour que les CV arrivent sur nos bureaux. Pas de courriels, pas de réseaux sociaux et encore moins de systèmes de gestion de base de données puisque les deux objets par excellence étaient un magnifique Rolodex (pour les recruteurs nés après 1980, sachez qu’il s’agit de l’ancêtre d’Outlook contact) et d’un Filofax (précision pour ceux nés après 1985, c’est l’ancêtre de l’agenda électronique). Pas de boites vocales mais une assistante, précieuse alliée de nos journées passées en sélection ou en rencontres avec des fournisseurs ou nos gestionnaires. À l’époque, il n’y avait ni notion de « client interne » ni « d’employeur de choix » et encore moins « d’expérience candidat ».
Un candidat de perdu et dix de retrouvés! Telle était la devise. Les chasseurs de têtes ne prenaient que les dossiers de cadres supérieurs et avaient plusieurs mois devant eux pour combler un mandat : pas de course contre la montre, une saine compétition – mais rien de bien agressif – et surtout « l’aura » dont bénéficiaient les recruteurs internes ou externes qui les considéraient comme des demi-dieux tout puissants (grands bureaux en acajou, sentiment de supériorité, respect marqué par tous). Le chasseur de têtes et le recruteur étaient donc aussi vénérés que craints… Surtout, ne pas trop le contrarier, ou il pouvait vous écarter à tout jamais de sa liste comme candidat et adieu la progression de carrière. Et oui, le monde a évolué. En fait, le changement est davantage venu des technologies que de la volonté des organisations et des recruteurs à se transformer. Certes, le contexte économique et la démographie ont amené de grands bouleversements, mais c’est l’innovation technologique qui a impacté réellement le métier.
L’innovation va se poursuivre encore demain avec de nouveaux logiciels, des systèmes et réseaux sociaux super évolués qui verront le jour. Mais en réalité, qu’en est-il de l’innovation du métier de recruteur et de nos processus? Sommes-nous tant en avance comparativement aux années 90? Si les bases de données sophistiquées ont remplacé les Rolodex, la façon de conduire les recherches pour identifier les candidats a-t-elle vraiment été transformée? Elle s’est automatisée, mais nous n’avons pas innové tant que cela. J’en veux pour preuve le peu d’organisations qui peut se vanter de disposer d’une cartographie de leur marché des talents ou de leur « communauté de talents » (candidats cibles potentiels). On recourt encore aux bonnes vieilles méthodes d’approche directe via des agences ou des chasseurs de têtes, ou via des annonces et « postings » sur les nouvelles plateformes des réseaux sociaux et le Web en général. Certes, faire du recrutement via LinkedIn ou Facebook peut sembler innovateur mais, dans les faits, on a juste intégré une nouvelle technologie, le fondamental n’a en rien changé.
Les relations humaines par définition ne sont pas modélisables, elles demeurent imprévisibles et peuvent nous échapper. Le recrutement n’est pas une science, c’est un Art. Alors que la science est en perpétuelle recherche d’innovation, l’Art reste imprécis et parfois imparfait car tout est une question d’appréciation. Le recrutement n’a rien de scientifique puisque personne ne peut en prédire exactement le succès. Il y aura toujours cette part d’incertitude, cette fragilité reliée à l’humain, cet instinct où l’intuition du recruteur qui, en dépit de tous les outils les plus sophistiqués, lui fera reconnaître LE candidat, l’élu. Bon, vous trouvez que je deviens ésotérique? Peut-être. Mais après avoir cherché pendant des années à rationaliser mes décisions de recrutement, modéliser les profils et automatiser les processus, je crois qu’il est temps de s’attarder à l’innovation organisationnelle.
Transférer la responsabilité des recrutements aux opérations, former les gestionnaires au recrutement, identifier les meilleurs talents et les traiter comme des clients potentiels (prospects), réviser les programmes de rémunération des recruteurs corporatifs tout comme leur rôle et leurs responsabilités, bonifier (rémunérer) les meilleurs gestionnaires pour leur style de gestion avec des indicateurs sur leur capacité à attirer, retenir et développer les meilleurs.
S’inspirer des modèles de fonctionnement des départements de vente et marketing pour bâtir une fonction innovatrice du recrutement avec des « brand recruteurs » en charge de l’image de marque employeur, des recruteurs opérationnels par métiers et industries dédiés à une région ou à une unité d’affaires, pourquoi pas?
Repenser l’acte de recrutement pour l’intégrer au plan d’affaires et à la stratégie de nos organisations est certainement le meilleur moyen de passer du mode transactionnel au mode relationnel. Le recrutement est tout sauf une « commodité », agissons en conséquence.
Nathalie Francisci
Chroniqueuse, Conférencière, Administrateur de sociétés
http://www.nathaliefrancisci.com/