La retraite des babyboomers est à nos portes. Les plus âgés d’entre eux atteignent aujourd’hui les 60 ans. Dans plusieurs secteurs, les jeunes ne seront pas assez nombreux pour prendre la relève, d’où la pénurie annoncée. La mobilité interne constitue une façon de combler les besoins.
Les entreprises emploient diverses méthodes pour assurer la transition d’un poste à l’autre. À la Régie des rentes du Québec, « nous évoluons dans un contexte de réglementation gouvernementale où l’égalité des chances en emploi constitue un principe fondamental, ainsi que la transparence dans les décisions que nous prenons », souligne Micheline Breton, coordonnatrice de la dotation et de la mobilité à la RRQ.
Le gouvernement Charest l’avait annoncé : au gouvernement, seul un départ sur deux est remplacé. « Avant de combler un poste, mentionne Micheline Breton, nous vérifions si le personnel en disponibilité pourrait le pourvoir. Quand ce n’est pas le cas, nous offrons le poste à tous les employés. Si le poste demeure vacant, nous l’ouvrons à l’externe. »
Cet organisme gouvernemental compte 1 200 employés. Chaque année, 15% d’entre eux changent de fonction, les deux tiers par mobilité latérale, l’autre tiers, par promotion. Des quelque 180 mouvements de personnel à chaque année, 86% mettent uniquement en cause des employés déjà embauchés, ce qui laisse 25 ouvertures de postes à l’extérieur.
Ce sont les prises de retraite qui créent le plus de mouvement. « Chaque fois qu’un chef d’équipe ou un formateur quitte, cela crée un mouvement dans toute la chaîne, explique Micheline Breton. Ils sont remplacés par des préposés aux renseignements ou des préposés au traitement de dossier. Les premiers travaillent directement avec le public, avec la rigueur des horaires de travail que cela implique. Les seconds bénéficient d’une plus grande souplesse dans les horaires de travail. »
« Nous formons les employés par groupes de six à huit personnes, précise la coordonnatrice. Cela nous permet de planifier les entrées en fonction et les groupes de formation. C’est principalement de cette façon que nous nous assurons de ne pas perdre l’expertise des gens. »
La formation à la tâche et le travail sous supervision s’étalent sur une période de six mois.
Une panoplie d’outils
Bell Canada Entreprises vise d’abord à combler les postes à l’interne. « Notre entreprise est en transition, souligne Maureen Bell, conseillère aux carrières. La téléphonie locale et le service d’interurbains subissent une décroissance, tandis que des services comme Bell Mobilité, Sympatico et Express Vu croissent. » Cette situation crée un important mouvement de personnel. « Chaque année, 20% des employés changent de poste », précise la conseillère.
« Une entreprise de la taille de Bell compte plusieurs unités d’affaires, souligne la responsable RH. On peut y voir une tendance à travailler en silo. Nous voulions nous assurer d’un mouvement entre les unités d’affaires afin d’éviter le cloisonnement. »
L’entreprise a donc créé un programme corporatif qui remboursait une partie des frais de formation engagés par les unités d’affaires lorsque celles-ci comblaient un poste vacant par l’embauche d’un employé de Bell plutôt que par l’embauche externe. Ce programme a duré deux ans. « Devant le succès de l’opération, ce volet du programme ne nous paraît plus pertinent », justifie Maureen Bell.
Ce programme n’est aujourd’hui maintenu que lorsqu’une unité d’affaires embauche une personne oeuvrant dans une unité dont le poste sera prochainement aboli. « En trois ans, il a notamment permis de redéployer plus de 2000 employés qui, autrement, auraient perdu leur emploi », signale Maureen Bell.
Bell met plusieurs outils de formation et de recherche d’emplois à la disposition de ses employés. Le portail interne de l’entreprise héberge un centre de développement des employés. On y trouve une centaine de cours offerts en ligne ou en classe, d’outils de développement professionnel relatifs à la rédaction de curriculum vitae ou de préparation d’une entrevue d’embauche. Les chercheurs d’emploi bénéficient d’un système d’alerte les avisant lorsque s’ouvre un poste répondant à leur profil.
L’entreprise offre un programme de mentorat en ligne. « Ce moyen peut être utile pour guider l’employé sur les compétences à acquérir pour accéder au poste qu’il convoite », souligne Maureen Bell. Le portail offre des outils au mentor et à la personne qui bénéficie de ses services. Le premier y apprendra les techniques de rétroaction constructive, tandis que le second y trouvera des balises sur ce qu’il peut attendre du mentorat.
La mobilité de spécialistes
La mobilité interne peut devenir plus délicate lorsqu’il met en cause un super-spécialiste d’une entreprise. Directeur de solutions chez TechnomediaFrançois Guillotte a vécu l’expérience, notamment lorsqu’il a agi à titre de consultant externe pour une grande entreprise de fabrication de matériaux de construction.
« Un employé comptant de 12 à 15 ans de services occupait un poste très technique en génie-marketing, explique François Guillotte. Il souhaitait une réorientation professionnelle, voire un déménagement dans un autre pays. Puisqu’il occupait un poste de spécialiste, cela causait du souci à l’entreprise. Elle voulait conserver l’expertise que cet employé avait développé. »
L’employé a conservé un poste dans l’entreprise, mais il a été transféré dans une ville de l’est des Etats-Unis. Il occupe aujourd’hui un emploi où l’aspect marketing prédomine l’aspect technique. Pour atténuer l’impact de ce changement, l’entreprise a créé un système structuré de parrainage et un portail de gestion des connaissances.
« Si vous dites simplement aux gens de transmettre ce qu’ils savent sans les guider, ils ne savent pas par où commencer, prévient François Guillotte. Il est important d’établir une structure, une stratégie et une approche spécifiques. »
C’est ce à quoi Technomedia a contribué : fixer des objectifs précis, voir à ce que l’entreprise donne le temps au parrain et au parrainé d’aller ensemble là où l’action se déroule et l’aider à préciser ses attentes.
Quant au portail de gestion des connaissances, il a réuni un réseau d’experts pour échanger sur leurs projets et leurs défis. Il mettait en commun les expertises de divers experts réalisant des mandats similaires.
« Tous ces moyens ont contribué à réduire l’impact de la mobilité de personnel », estime François Guillotte.
Le transfert de spécialistes n’est pas toujours aussi délicat. Il représente parfois une évolution plus naturelle. Me Jean-François Legault, vice-président et chef du service juridique chez Bell Canada, aborde le transfert du rôle d’avocats vers celui de la gestion.
« Chez les avocats de l’entreprise, comme dans la pratique en général, on retrouve peu d’intermobilité d’un domaine de pratique à un autre, signale-t-il. Par exemple, un avocat spécialisé en litige ne dispose pas des habiletés et des connaissances requises pour œuvrer dans un domaine comme celui des fusions et des acquisitions d’entreprises. Ce que l’on retrouve davantage, c’est un transfert vers un poste de gestion. »
Ainsi, l’avocat spécialiste en droit du travail et de l’emploi, qui intervient en soutien au groupe des relations industrielles de l’entreprise pourrait se voir offrir un poste de directeur des relations industrielles. « Avec les années, il a appris à connaître les enjeux de ce groupe, les interactions avec les syndicats et les gens qui s’y trouvent. »
L’une des conditions de réussite d’un tel changement : se sentir confortable avec la description de tâches. « En devenant gestionnaire, l’avocat passe d’une position de conseiller à celle de la prise de décision, souligne le vice-président. La qualité de leadership est essentielle. »
La personne intéressée à un poste de gestion aura avantage à s’impliquer dans la coordination de projets extérieurs au cadre de sa fonction première : l’implantation d’un nouveau logiciel de gestion de dossiers, par exemple. Il développera ainsi une expérience pratique, qui pourra être comblée par une formation théorique en gestion de projets.