La population active canadienne prend de l’âge
Vieillissants, les Canadiens ? Si l’accroissement de l’espérance de vie tient plutôt de la bonne nouvelle, cette nouvelle longévité peut toutefois poser quelques problèmes sur le marché du travail à l’horizon 2021. Etats des lieux d’un phénomène aux conséquences directes pour les entreprises.
En 2011, l’âge médian au Canada était de 39,9 ans. En 1971, il frôlait à peine les 26,2 printemps. Les personnes âgées constituent donc, toutes provinces confondues, le groupe de population s’accroissant le plus rapidement.
La faute à la démographie
Plusieurs phénomènes démographiques expliquent cette prise d’âge des canadiens, et l’absence d’une relève suffisante. D’abord, le faible indice de fécondité du pays : 1,58 enfant par femme. « Un taux qui demeure nettement inférieur à l’indice de remplacement de la population, fixé à deux enfants par femme. Autrement dit : on dénombre, au Canada, moins de naissances que de décès », précise Jacques Legaré, professeur de démographie à l’Université de Montréal. Un volume des naissances en berne, donc, qui présage pour les années à venir de quelques difficultés à contrebalancer par l’arrivée d’une population jeune et dynamique le départ à la retraite de salariés très expérimentés.
Aussi, l’accroissement de l’espérance de vie ne manque pas de faire son œuvre. Les canadiens, hommes et femmes, vivent aujourd’hui en moyenne plus de quatre-vingt ans. Un chiffre aux conséquences nombreuses : retraites plus tardives, pensions versées plus longtemps, soins médicaux multipliés… « Le problème, ajoute Jacques Legaré, c’est que les coûts sociaux grandissent avec l’âge. Par exemple, pour subvenir aux besoins d’un grand vieillard, l’État doit dépenser jusqu’à 25 000 dollars par année, soit 10 000 dollars de plus que pour une personne de 65 ans. »
Enfin, le vieillissement de la très large génération baby-boom achève ce tableau aux rides prononcées. Nés dans la période d’après guerre, les baby-boomers commencent à quitter le monde professionnel pour profiter de leur retraite, laissant derrière eux nombre de postes vacants.
Un problème à retardement
Et ces quelques explications commencent seulement à produire leurs effets. Elles devraient d’ici quelques années contribuer à un âge médian plus élevé encore. Prévisions de Statistique Canada pour 2021 ? Que la population des 65 ans et plus, qui représente aujourd’hui 14,4% de la population globale, atteigne les 18,5 %, parvienne en 2031 à 22,8%, puis en 2041 à 24%, et enfin en 2061 à 25,5%.
Quelles conséquences pour l’économie et les entreprises ?
Explosion des coûts de santé, crise des finances publiques, pénurie de main d’œuvre… Si les conséquences du vieillissement de la population peuvent sembler apocalyptiques, il s’agit aussi de les nuancer. Ainsi que le souligne Laurier Caron, directeur général de la fédération syndicale FSE-CSQ : « le lien causal entre le déclin démographique et le déclin économique est loin d’être établi. Pour preuve : de nombreux pays dont la population est plus vieille que la nôtre affichent des rendements supérieurs. »
Malgré cela, dans le scénario de référence dégagé par Industrie Canada, l’impact économique relatif au vieillissement des canadiens est sans appel. Un fort ralentissement de la croissance du pays est à craindre. Dès 2021, et jusqu’en 2051, la croissance du niveau de vie pourrait s’établir autour de 1% par année, soit la moitié du taux de croissance observé entre 2001 et 2021.
Pénurie de compétences
Conséquences plus directes pour les entreprises : les probables pénuries de compétences à venir. Toujours selon Industrie Canada, il semble en effet avéré que le rendement dans l’exécution de certaines tâches physiques ou intellectuelles diminue avec l’âge, entraînant pour l’entreprise une perte de productivité. Des difficultés pas toujours compensées par le surcroît d’expérience, ni par le leadership qui s’affirme souvent l’âge avançant.
Quant au risque de pénurie de main d’œuvre, il pourrait bien mettre à mal de nombreuses entreprises, les empêchant de dénicher la relève pourtant nécessaire après le départ en retraite de leurs collaborateurs qualifiés. Mais, pour Laurier Caron, « le risque de pénurie de main d’œuvre, bien que réel dans certains secteurs d’emploi, ne doit pas être exagéré. Il existe principalement des risques dans les secteurs où il y a eu une forte embauche il y a une trentaine d’années et où bon nombre d’individus vont s’apprêter à prendre leur retraite. C’est notamment le cas des secteurs de l’éducation, de la santé, et des services sociaux. »
Les outils du changement
Facteur rassurant selon Laurier Caron : « le vieillissement de la population active n’est ni le seul ni nécessairement le plus important déterminant des pénuries de compétences. Les niveaux de salaire, les conditions de travail et les politiques d’éducation et de formation auraient une influence tout aussi importante. Pour éviter les pénuries de main d’œuvre, il faudra donc rendre le travail plus attractif et valoriser les compétences de la personne. »
S’il appartient aux pouvoirs politiques fédéraux et provinciaux d’appréhender l’ensemble des motifs, conséquences et changements relatifs au vieillissement de la population, les entreprises, directement concernées, ont donc elles aussi quelques cartes à jouer dans l’espoir de conserver intacts leurs effectifs et leur productivité. Atmosphère de travail, sécurité de l’emploi, possibilité de monter en compétence, conciliation améliorée de la vie personnelle et professionnelle… Les compagnies disposent de leviers d’action pouvant influer directement sur leur attractivité auprès d’un public plus jeune et diplômé.
Autre possibilité, soulevée par Industrie Canada : l’augmentation du flux des travailleurs immigrants qualifiés. Un vivier qui pourrait pallier au déficit à venir d’actifs, et contribuer fortement à rehausser le niveau de vie des Canadiens prévu pour les prochaines décennies, à condition que les entreprises leur concèdent une place plus grande au sein de leurs effectifs.