Par André Giroux
L’année scolaire se termine. Malgré les soubresauts sans précédent qu’a provoqué le conflit sur les prêts-bourses l’hiver dernier, des centaines d’étudiants ont maintenant terminé leurs études en ressources humaines, avec un baccalauréat en poche. Que l’avenir leur réserve-t-il? Comment eux-mêmes l’entrevoient-ils?
« Prenez le temps d’effectuer une véritable recherche d?emploi », conseille Cherine Zananiri, directrice du Centre de carrières et de placement à l’École de gestion John-Molson de l’Université Concordia. Elle s’étonne que les étudiants accordent plus d’importance à l’achat d’une paire de chaussures qu’à l’obtention d’un emploi. « Lors de leur passage à l’université, rappelle-t-elle, les étudiants ont trois ans pour monter leur plan de carrière : créer un réseau, parler aux professeurs reliés à l’industrie, visiter les foires de l’emploi organisées sur les campus, participer aux activités de la Chambre de commerce, etc. Rares sont ceux qui prennent le temps de le faire, mais ceux qui préparent leur plan de carrière dès l’université se retrouvent avec un choix de postes à occuper. »
« Le marché de l’emploi en ressources humaines est relativement bon et assez ouvert », estime Michel Audet, professeur en relations industrielles à l’Université Laval. Il le constate par une relative baisse d’intérêt pour les études supérieures. « Quand le marché de l’emploi est restreint, les étudiants ont tendance à poursuivre leurs études. Or, depuis deux ou trois ans, nous allons beaucoup plus chercher nos candidats à l’extérieur de la faculté. Les étudiants du deuxième cycle proviennent de champs d’études comme la psychologie, l’éducation, l’orientation scolaire et professionnelle et les sciences sociales. » Il précise toutefois que l’obtention d’un poste en ressources humaines pourra exiger de s’expatrier.
« Le diplômé de l’Université Laval ne trouvera pas nécessairement son emploi dans la région de Québec », prévient Michel Audet. Les technologies de l’information existent, servez-vous en, ajoute l’enseignant : consultez les sites Internet d’offres d’emplois, consultez la rubrique pertinente du site des employeurs. Profitez-en pour approfondir votre connaissance de l’entreprise où vous postulez. Utilisez les contacts développés à l’université et dans le cadre de vos emplois précédents. Exigez des entrevues. Comme nombre de spécialistes, le professeur à l’Université Laval insiste sur l’importance d’une bonne préparation. Le candidat qui se limite à dire qu’il est prêt à faire n’importe quoi part avec un handicap. « Le finissant doit préciser ses intérêts, ses compétences, ses objectifs : résoudre les problèmes de harcèlement psychologique au travail, de santé sécurité, développer les mesures de dotation ou les critères de performance. Le candidat doit bien cibler ce qu’il souhaite, quitte ensuite à faire preuve d’ouverture pour répondre aux besoins de l’employeur. Celui-ci s’attend à ce que vous ayez développé un bon portefeuille de connaissances. »
Directeur des ressources humaines au bureau montréalais de RSM RichterMichel Délisle insiste sur le savoir-faire et le savoir-être. « Nous recherchons des gens qui aiment relever des défis, qui s’adaptent rapidement au contexte de l’entreprise et qui apportent des idées nouvelles. Les jeunes peuvent apporter beaucoup à une entreprise par leur façon différente de voir les choses. » Généraliste ou spécialiste? À son arrivée sur le marché du travail, le nouveau diplômé doit-il miser sur un poste de généraliste ou de spécialiste? « S’il a acquis peu d’expérience pratique au cours de sa formation, le nouveau diplômé obtiendra souvent des postes techniques, observe Cherine Zananiri. D’où l’importance des systèmes coops, des emplois d’été dans le domaine d’études ou de la participation aux associations étudiantes. Reste que l’on trouve des postes d’entrée dans tous les domaines des ressources humaines. » « Un individu commencera à se faire une carrière à partir d’une spécialité acquise par des recherches sur Internet ou par des stages, estime Michel Audet. Sur le marché du travail, il sera toutefois souvent amené rapidement à développer un intérêt de généraliste tout en approfondissant sa spécialité. Il obtiendra ainsi une polyvalence utile dans ses fonctions. Il est à la fois généraliste et spécialiste. » L’étudiant a avantage à développer des champs d’intérêts particuliers et à les approfondir. Le jeune diplômé, quant à lui, a intérêt à bien établir ses objectifs tout en démontrant une souplesse pour explorer de nouvelles avenues. Qui sait, il développera peut-être une nouvelle passion.
Au coeur de la stratégie d’affaires Le service des ressources humaines n’est plus en marge de la stratégie d’affaires d’une entreprise. « Il y a cinq ans, souligne Jennifer Prenoveau, conseillère au recrutement chez Deloitte & Touche, les comités de gestion consacraient l’essentiel de leur temps à traiter de financement des activités et de recrutement de clientèle. Aujourd’hui, près de la moitié du temps est consacré à des enjeux liés aux ressources humaines, tels que la rétention d’employés ou la formation, par exemple. » Cette nouvelle philosophie comporte ses exigences. Les gens des ressources humaines doivent apprendre à parler un langage financier. Ils sont de plus en plus appelés à donner leur avis, à participer aux prises de décision impliquant des investissements dans le développement de programmes. Ils doivent être en mesure d’aborder l’enjeu des coûts-bénéfices des projets qu’ils veulent implanter. Les ressources sont par définition limitées, souvent moins grandes que les besoins. Les gens en RH doivent développer les aptitudes et les attitudes de communication pour participer aux arbitrages relatifs aux besoins des divers secteurs de l’entreprise.
« Apprenez à parler aux autres services dans leur langue si vous voulez les convaincre, conseille Cherine Zananiri. Tenez-vous informés de ce qui se fait de bien dans les autres entreprises afin de vous en inspirer dans votre pratique. Si vous ne l’avez pas fait à l’université suivez des cours sur la finance ou la psychologie. Pour mieux connaître ce qui se passe et ce qui s’en vient, continuez de lire au cours de votre carrière, en économie, notamment, et en démographie. » Le personnel RH a avantage à « développer des habiletés dans la gestion de projets, souligne Michel Audet. La structure organisationnelle des entreprises est de plus en plus volatile, au gré des projets, alors que les gens en RH ont davantage l’habitude d’évoluer dans un univers stable, aux structures organisationnelles bien définies. » Le conseiller en ressources humaines est un accompagnateur des décideurs et des gestionnaires sur le terrain. Bien qu’il doive respecter les lois, les règlements et les conventions collectives, son rôle consiste non seulement à préciser ce qui est interdit, mais à offrir des alternatives.
La génération Y Les jeunes qui arrivent aujourd’hui sur le marché du travail savent qu’ils évolueront dans un contexte de pénurie de main-d’oeuvre qui touchera un grand nombre de secteurs professionnels. Ils ont vu s’effondrer le rêve de sécurité d’emploi de leurs aînés, de leurs parents. Dans les années ’90, les entreprises n’ont pas accordé une grande importance à la loyauté envers leurs employés. Le grand nombre de « rationalisations » en témoigne. Aujourd’hui, la loyauté des jeunes envers l’entreprise est bien relative. « Les sondages révèlent que ce qui vient au premier rang des aspirations des jeunes au plan professionnel, affirme Michel Audet, c’est le développement de leur potentiel au plan professionnel, leur accomplissement sur le marché du travail. Dans la mesure où ils y trouvent leur compte, ils aspirent encore à faire carrière au sein de la même entreprise tout au long de leur vie professionnelle. Insatisfaits, ils risquent de devenir des mercenaires du marché du travail. »
Jennifer Prenoveau fait partie de cette génération. Diplômée du programme coop de l’université Concordia, elle embauche aujourd’hui la relève chez Deloitte & Touche après y avoir réalisé le dernier des quatre stages prévus au programme. « Les jeunes de ma génération envisagent l’avenir sur un horizon de deux ou trois ans, rappelle-t-elle. Présentement, je suis bien où je suis, j’ai des défis à relever, on me fait confiance et je reçois une bonne formation de mon employeur. Comment me sentirai-je dans trois ans? Je ne le sais pas. » Que fera Jennifer dans quelques années? Pour qui travaillera-t-elle? Il est trop tôt pour le dire. Or, elle est représentative de sa génération. Voilà tout un défi pour les employeurs, tout un défi pour les conseillers en ressources humaines des entreprises : le recrutement et la rétention de personnel. « Les étudiants universitaires dénigrent souvent le recrutement, le percevant comme une tâche routinière, souligne Jennifer Prenoveau, mais c’est faux.
Il est fini le temps où les employeurs pouvaient se contenter d’afficher les postes disponibles et d’attendre les candidats. Nous devons être plus proactifs, aller recruter les meilleurs éléments, sur les campus tout comme sur le marché du travail. Nous nous présentons dans des groupes de discussion et dans diverses associations pour rencontrer des gens et les convaincre de venir travailler chez nous. C’est aussi cela, mon rôle, chez Deloitte & Touche. » Pour l’instant, cela la passionne.