Phénomène nouveau, mais plus connu en Europe et aux États-Unis, les blogues reliés à l’emploi en sont à leurs premiers balbutiements ici. Le site Fortune 500 Business Blogging Wiki, recense un faible 4,4% (22 sur 400) des entreprises du Fortune 500 possédant un blogue disponible au public. Le site Blog Canada recense quant à lui 10 883 blogues, dont plus de 7 000 sont de nature personnelle. Des autres 3 500, l’art et la culture dominent, de même que les sites discutant de phénomènes sociaux, politiques et de loisirs. Le milieu des affaires vient au 8e rang, avec 154 sites, dont quelques-uns seulement sont québécois. Cela reflète la réalité du marché, mais le phénomène est appelé à prendre une plus grande ampleur.
Le blogue est une outil interactif d’échange mené par un individu ou une entreprise. Il se distingue du chatting, en ce que cet outil permet les échanges en direct. Il diffère du forum de discussion puisque celui-ci n’est pas dirigé par une personne ou un organisme en particulier; il est certes hébergé sur un site, mais tous les membres du forum peuvent lancer un débat. De plus, qu’il s’agisse de chat ou du forum de discussion, il faut généralement s’abonner avant d’y accéder.
Les blogues les plus connus du public proviennent probablement d’une vedette d’un média, dont Patrick Lagacé, par exemple, journaliste du Journal de Montréal, qui a son blogue sur Canoë, aussi propriété de Quebecor. D’autres commentateurs ou journalistes connus ont aussi leur blogue. Pensons notamment à Richard Martineau ou Michel Vastel.
Chez les entreprises, le blogue demeure marginal. « Au Québec, c’est un phénomène qui commence à peine ses premiers balbutiements dans le domaine de la publicité et du marketing, observe Sylvie Doré, vice-présidente gestion des relations chez TMP Worldwide. Le recrutement étant un domaine très spécifique, il n’est pas étonnant que l’on en compte encore très peu. »
« Le marché du recrutement en ligne a atteint une certaine maturité, estime Sylvie Leclerc, conseillère en marketing d’employeurs à la firme de communication et de recrutement de ressources humaines chez Publicité Illico Hodes. Nous voyons maintenant émerger de nouvelles façons d’aller chercher le meilleur d’Internet. Le blogue en est une appelée à se développer. »
Opinion que partage Sylvie Doré : « C’est un outil prometteur si on parvient à le cibler et à le contrôler. »
« Il serait temps que quelqu’un prenne le leadership si les entreprises d’ici ne veulent pas devenir suspectes aux yeux des internautes par manque de transparence ou par crainte d’ouvrir le dialogue », mentionne Michael Carpentier, analyste web et architecte informationnel chez zengo.ca, une filiale de iXmédia.
Il a une connaissance pratique du phénomène : « J'ai moi-même été recruté par iXmédia en tant qu'associé grâce à mon blogue, et ait en grande partie choisi de me joindre à l'équipe après avoir lu avec attention les blogues respectifs des autres associés. »
Avantages et inconvénients
Cette innovation peut permettre à l’entreprise d’attirer vers elle une personne compétente qu’elle ne rejoindrait pas par une simple offre d’emploi : le chercheur d’emploi passif. « C’est la personne qui possède déjà un emploi, mais qui garde une vigie sur ce qui se passe ailleurs afin de vérifier si elle pourrait mieux réaliser son plan de carrière, mentionne Sylvie Leclerc. Le blogue permettra de mieux connaître l’entreprise et sa culture. »
« On sait toujours ce qu’on quitte, mais jamais ce qu’on va trouver », observe-t-elle. Le blogue peut corriger le tir puisqu’il permet à l’entreprise de dégager un ton et une chaleur qui plongera le candidat dans l’ambiance de l’organisation. « Le candidat se fait une image du type d’organisme vers lequel il souhaite se diriger. L’idéal consiste à vérifier cette perception. Pour l’entreprise, l’avantage consiste à éviter qu’un individu soit séduit jusqu’à l’embauche, mais déçu lors de son entrée en fonction. »
« Il est facile de mentionner dans les communications corporatives que l'entreprise "cherche des candidats jeunes, dynamiques et instruits" pour les faire évoluer dans un milieu "motivant, avec des collègues compétents et offrant de bonnes possibilités d'avancement", mentionne Michael Carpentier. Toutes les entreprises affirment cela, au point où ce n'est plus vraiment crédible. Il est plus difficile de créer de toute pièce un blogue qui mentirait constamment sur l'attitude des dirigeants face aux employés, aux stratégies de l'entreprise ou au marché. »
Le blogue permet une meilleure synergie entre les employés. « Il donne à l’employé un droit de parole vers l’extérieur qu’il n’a généralement pas, mentionne Sylvie Leclerc. Lorsque l’entreprise s’exprime, elle le fait généralement par la voix d’un directeur. Le blogue a un effet communautaire. Il permet aux gens de parler de leur emploi concrètement, de ce qu’ils ont appris au cours de la journée, de leurs défis, etc. »
Ce nouveau gadget, diront les sceptiques, favorise l’échange entre les employés et les gens de l’extérieur. « Comme tout site qui se respecte, le blogue sera géré par un modérateur, précise Sylvie Leclerc. Il peut s’agir d’un employé d’administration ou de la production ayant reçu une formation sur la façon de faire. »
« Il est important que l’entreprise définisse une ligne éditoriale et des règles à respecter, souligne Michael Carpentier. Les meilleures personnes pour l’aider en ce sens sont probablement les blogueurs eux-mêmes, que l’entreprise souhaite davantage encadrer que contrôler. »
Le modérateur biaise-t-il l’image de l’entreprise envers le chercheur d’emploi en refusant les propos critiques? « Cela dépend du degré de transparence et d’ouverture de l’organisation, répond Sylvie Leclerc. Certaines entreprises acceptent qu’une critique paraisse sur son blogue. Reste qu’il y a toujours un risque lorsqu’une personne critique son employeur, surtout si elle ne l’avise pas auparavant. L’effet de surprise peut déstabiliser tout le monde et nécessiter une gestion de cas. »
Quant au chercheur d’emploi, il trouvera avantage à lire le blogue de l’entreprise pour laquelle il postule. « Expliquer un point de vue en le soulignant d’un exemple tiré d’un ou de plusieurs billets publiés sur le blogue de l’entreprise démontre qu’il s’y intéresse sincèrement », illustre Michael Carpentier.
Un chercheur d’emploi a aussi intérêt à lancer son propre blogue. Cet outil lui permet de se présenter de façon plus dynamique auprès des chercheurs de talents. Il fera davantage connaître ses compétences et sa personnalité. Ce moyen de communication est exigeant, toutefois : il faut l’alimenter quotidiennement. L’esprit blogue donne un contenu rédactionnel court, précis et convivial.
L’internaute pourra très bien protéger ses renseignements personnels en ne laissant qu’un courriel où on puisse le rejoindre.
Les blogueurs d’emploi offrent à l’entreprise une base d’accès libre et gratuit à une banque de curriculum. Les secteurs de l’ingénierie, de l’informatique, des communications et de la gestion sont les plus susceptibles de lancer un blogue. « Ça colle à leur profession », souligne Sylvie Leclerc.
L’avenir
Surévalue-t-on le potentiel du blogue? Sylvie Doré répond par une comparaison. « L’achat en ligne a pris beaucoup de temps à se développer au Québec, signale-t-elle. Les gens se méfiaient davantage que les internautes américains. Reste que ce procédé s’est développé ici aussi. »
Et en matière de recrutement? On affronte aussi des réticences. « Autrefois, souligne Sylvie Doré, les entreprises craignaient de recevoir des candidatures de partout sur la planète si elles plaçaient une offre d’emploi sur Internet. Or, des logiciels permettent maintenant de filtrer les candidatures. Il en ira probablement de même pour les blogues. »
« Dans notre service aux employeurs, nous utilisons beaucoup Internet pour le recrutement, mentionne la vice-présidente de TMP Worldwide. Il constitue une partie importante de la stratégie de nos clients. Nous offrons en innovation à nos clients la possibilité du blogue. La proposition crée un intérêt, mais il n’y a pas encore de résultat concret. »
Pour Sylvie Leclerc et Michael Carpentier, la certitude, c’est que nous nous dirigeons de plus en plus vers l’interactivité en ce qui concerne le recrutement. « On délaisse de plus en plus l’imprimé », mentionne Sylvie Doré.
Elle estime que les blogues qui ont le plus de potentiel de succès sont ceux qui se trouvent sur un site niche : les associations d’employeurs, les corporations professionnelles, les sites d’emplois spécialisés, etc.
« En matière de recrutement, peu de gens croient actuellement au blogue, convient Sylvie Leclerc. À mon avis, cet outil se développera. Il fait partie du développement d’Internet. Sa forme pourra évoluer, mais son existence est là pour durer. À une certaine époque, on ne croyait pas que les gens postuleraient en ligne. Pourtant, ils le font. »
Quelques pistes
Blog de professionnels de recrutement en ligne : http://www.taleo.com/blog/
"CEO Bloggers club", site qui recense les blogues de dirigeants d'entreprises, presque 100 membres : http://prplanet.typepad.com/ceobloggers/
Blog Canada : http://www.blogscanada.ca/
Moteurs de recherche spécialisé dans les blogues : www.technorati.com
Scobleizer, un employé de Microsoft qui tient un blogue sur l'entreprise avec la bénédiction de ses patrons (excellent exemple d'ouverture au dialogue): http://scobleizer.com/
Michael Carpentier : www.michaelcarpentier.com