Et s’il était possible de dénicher à coup sûr la personne idéale pour un poste, celle qui sera performante, qui se fondra à l’équipe comme si elle y avait toujours été et qui ne quittera pas le bateau à peine deux ans plus tard ? Encore mieux : et si son profil nous apparaissait sans qu’on ait à éplucher des centaines de CV ? Bienvenue dans le monde du « recrutement prédictif ».
« Le recrutement prédictif est tout à fait possible aujourd’hui, dit Andrée Laforge, chef de produit à Syntell, une firme spécialisée en solutions d’affaires pour les ressources humaines. Toutefois, dans les faits, peu d’entreprises sont pour l’instant en mesure d’en faire. »
« On a beau avoir la technologie, on n’a ni la qualité ni la quantité de données pour en tirer profit », poursuit-elle. Au Québec, en particulier, rares sont les entreprises qui détiennent une somme de données suffisante pour que les algorithmes donnent des résultats fiables.
À la chasse aux candidats parfaits
Syntell a récemment accompagné une organisation qui souhaitait freiner le taux de roulement de ses agents au service à la clientèle. Beaucoup démissionnaient après quelques mois alors que certains restaient plusieurs années : qu’y avait-il de particulier chez ces derniers ?
Deux autres critères se sont ajoutés à la recherche afin de cerner les futurs employés parfaits de l’organisation : non seulement devaient-ils être en poste depuis au moins deux ans, mais ils devaient performer en ce qui concerne les ventes et récolter des évaluations positives auprès des clients interrogés.
« Données démographiques, lieux de résidence, parcours scolaires, intérêts personnels… on a rassemblé tout ce que l’on possédait comme données sur ces personnes afin d’identifier des caractéristiques communes », raconte Andrée Laforge.
Et la discrimination ?
Imaginez, l’algorithme tranche sur le profil du candidat idéal : des hommes de 25 à 35 ans d’origine latine ayant un diplôme d’études secondaires. L’organisation devrait-elle écarter d’office toutes les femmes qui postulent ? « Bien sûr que non, dit la spécialiste des données. Cela serait de la discrimination pure et simple. Il faut faire attention. Le but ici est d’orienter l’affichage de nos postes à pourvoir sur des sites ou des publications s’adressant à ce groupe cible. Il n’a jamais été question d’écarter des candidatures. »
La ligne est-elle trop mince ? Andrée Laforge ne le croit pas : « Les robots ne font pas de discrimination ! Ils sont en fait beaucoup plus objectifs que les humains. En ressources humaines, on fonctionne beaucoup avec le relationnel, le fameux “pif”. Or, les données écartent le subjectif. Peut-être peut-on enfin convaincre ce gestionnaire qui a étudié à McGill qu’un candidat de l’Université de Montréal mérite son attention ? » donne en exemple la spécialiste.
Dans la zone grise
Bien qu’il soit difficile de collecter énormément de données en interne, à travers les LinkedIn et les Facebook de ce monde, ce n’est pas le volume qui manque.
« On parle alors de scraping, un autre moyen utilisé par le recrutement prédictif, qui exige beaucoup plus de délicatesse, explique Andrée Laforge. En théorie, on ne devrait pas avoir le droit de se monter une base de données à partir d’informations fournies sur ces réseaux. »
En pratique, tout chasseur de têtes de son temps le fait au moins à la mitaine. Celui-ci épluchera par exemple les profils LinkedIn des « analystes de données » de l’énorme répertoire, puis zieutera sur Facebook pour se construire une idée de la personnalité de l’individu, avant de le contacter ou de s’abstenir de le faire. « Si on écarte une personne en fonction de l’une de ses photos personnelles, par exemple, on fait de la discrimination », prévient pourtant Andrée Laforge.
Dans les faits, personne n’en saura rien. Si ce critère est au contraire exprimé dans un algorithme qu’un ordinateur exploitera, une trace est laissée. Et si l’automatisation du recrutement diminuait plutôt la discrimination à l’embauche ?