Tous les recruteurs ont dû faire face un jour ou l’autre à un cas de conscience. Certains plus souvent que d’autres, mais il y a toujours un moment donné dans la carrière du recruteur où cela arrive. Certains y font face avec bravoure et d’autres, malheureusement pour notre profession, avec lâcheté. Avis aux jeunes professionnels du métier, sachez qu’il vous faudra des années pour bâtir votre réputation et qu’il ne prendra que quelques instants de faiblesse pour vous rayer de la carte. Soyez vigilants : les pires ennemis sont soit l’appât du gain, soit la peur de dire la vérité en face.
En voici une ….
– « Vous n’êtes pas le candidat de la situation ». La plus courante. Voici le cas de conscience : vous avez deux candidats finalistes. Vous les avez présentés tous les deux car vous croyez dur comme fer que les deux feront une bonne job. Pourtant, vous savez bien qu’il n’y aura qu’un seul gagnant au final. Lorsque le choix s’enligne sur l’un des deux, le temps suspend son vol… Soudainement, vous ne savez plus quoi répondre au candidat numéro 2 qui vous appelle en vous demandant des nouvelles. Pourquoi subitement vous craignez de lui retourner son appel avec autant de diligence qu’auparavant? Vous qui, encore il y a quelques jours, étiez capable de le rejoindre sur son cellulaire jusqu’au fin fond de son chalet en vacances pour lui demander de venir en entrevue ou encore lui réclamiez à corps et à cris son feedback suite à la dernière rencontre avec votre gestionnaire, vous traînez, vous rechignez. Vous priez même pour tomber dans sa boite vocale afin de lui laisser le fameux message : « Non, pas encore de nouvelles mais ça s’en vient… », alors que vous négociez avec le candidat numéro un pendant ce temps. Vous ne voulez surtout pas lui dire qu’il est en fait le plan B si votre négociation échoue avec l’autre.
Cas classique et quotidien. Dès vos premières années de carrière comme recruteur, vous apprenez à « patiner », à « danser des claquettes », bref, à mentir pour d’une part ménager l’égo de votre candidat numéro 2, d’autre part pour éviter de le perdre et de devoir recommencer à zéro en cas d’échec de la transaction avec le numéro 1.
Je me confesse, j’ai déjà menti. J’ai déjà raconté de belles histoires pour me sauver de cette situation délicate. Chaque fois, je me suis sentie « petite », mesquine et j’ai eu honte. Je déteste le mensonge, mais que faire? L’expérience m’a appris qu’il vaut mieux jouer la carte de la transparence : adoucir mais ne pas mentir, ménager mais ne jamais trahir. La confiance que porte votre candidat en vous est tout aussi précieuse que fragile, mais elle est sacrée. Les candidats ne sont pas dupes. Ils savent pertinemment que vous êtes au service d’un employeur, d’un gestionnaire, d’un client. Vous avez donc le choix, la possibilité ou même l’opportunité de lui donner l’heure juste. Récemment, j’ai dû faire face à cette situation. Voici ce que j’ai dit à mon numéro deux : « Vous êtes deux finalistes, mon client hésite entre vous deux. » Je lui ai expliqué qu’il avait des forces que l’autre n’avait pas et vice-versa et que mon client devait trancher dans ces qualités et trouver un consensus à l’interne. La semaine qui a suivi – c’est vrai que je ne lui ai pas dit que je négociais avec mon numéro un tout en le gardant « en haleine » –, j’ai particulièrement porté attention à garder le contact. Je lui laissais des messages et je donnais signe de vie. Je répondais avec encore plus de diligence à ses courriels, messages vocaux et appels. Jamais il n’est allé dans ma boite vocale si je pouvais lui répondre. Je me souviens qu’un soir je suis rentrée et j’ai dit à mon conjoint que je me sentais un peu « croche », comme la fille qui ne veut pas dire à son chum qu’elle fréquente un autre gars mais qu’elle n’a pas encore pris sa décision finale… Lorsque le choix final s’est arrêté, je suis allée prendre un café avec mon candidat déchu. Je l’ai écouté, consolé mais à aucun moment il ne s’est senti trahi parce que je l’avais tenu informé et j’avais partagé le déroulement du processus. J’avais en quelques sortes mis la table et géré ses attentes, adouci l’atterrissage. Ce que j’ai gagné, c’est d’avoir sauvé notre relation et consolider nos liens. La prochaine fois sera la bonne. Lorsque je lui ai expliqué le choix final de mon client, il l’a compris et il l’a accepté. Il savait qu’il lui manquait certains morceaux. Je me suis sentie non seulement mieux mais surtout plus honnête intellectuellement. J’ai même demandé à mon client d’en faire autant. Une heure de son temps contre près d’une dizaine d’heures investies par le candidat, ça vaut bien un petit café, non? Son image employeur en a été que plus redorée, et cela ça vaut tous les cafés du monde.
Alors, chers confrères, lors de votre prochain cas de conscience, ne vous cachez plus, n’ignorez pas les états d’âme de votre candidat. C’est la marque ultime à laquelle on reconnaît les vrais professionnels.
Nathalie Francisci, Adma, CRHA
Vice-présidente exécutive
chez Mandrake Groupe Conseil