L’attraction des talents est devenue depuis quelques années un élément stratégique de la croissance des entreprises. L’économie actuelle, le facteur démographique et les enjeux croissants de la gestion des talents, incluant celui des générations, ont amené les entreprises à revoir leur processus de recrutement pour se démarquer sur leur marché.
Jusqu’à tout récemment, on pouvait se contenter de recruter de manière tactique et de voir le recrutement comme une commodité. Un employé partait, on le remplaçait par un autre sans problème et sans trop s’interroger sur l’impact à long terme de ce changement. Aujourd’hui, il n’y a plus de file au service du recrutement et les candidatures se font rares. Pour trouver la perle rare, il faut non seulement l’identifier et l’attirer, mais aussi s’assurer qu’elle possède plus que les compétences techniques requises; il faut s’assurer que le candidat a la capacité d’adhérer à la culture d’entreprise et à ses valeurs. C’est ici que le rôle du recruteur prend toute sa valeur. Car on ne recrute pas uniquement une expertise ou un savoir-faire, mais bien un savoir-être.
Le recruteur externe ne peut donc plus uniquement se fier sur son carnet de relations et sur les réseaux sociaux pour remplir un mandat. La notion de « banque de candidats » est devenue obsolète et le rapport de force s’est inversé entre le recruteur et son bassin de candidats. Le candidat d’aujourd’hui choisit de postuler ou non pour une entreprise, il est passé en « mode passif » et il attend que la bonne opportunité se manifeste. S’il était autrefois flatteur de se faire contacter par un chasseur de têtes, c’est maintenant devenu le quotidien de bien des personnes de talent. Le rôle du recruteur externe en est donc directement affecté et sa valeur ajoutée se mesure à sa capacité d’identifier les bonnes personnes, de les accompagner dans le processus et d’agir comme porte-parole de la marque employeur de son client.
Un rôle stratégique au-delà du mandat
Le recruteur externe est le partenaire de l’entreprise. Ce partenariat demande un investissement autant de la part de l’entreprise que du consultant. L’efficacité du processus de recrutement repose sur des éléments essentiels comme la transparence, l’éthique et la compréhension du contexte d’affaires. Sans cela, il n’y a aucune chance de convaincre un candidat d’embarquer dans l’aventure. En effet, le recruteur a le mandat de représenter son client; il doit donc comprendre ses valeurs, sa culture, mais aussi son plan d’affaires pour mieux les véhiculer et pour pouvoir évaluer si le candidat va s’y reconnaître, y adhérer et pouvoir performer.
Le rôle du recruteur externe commence donc par un mandat clair; cela exige de l’entreprise de faire preuve d’une totale transparence (après tout, les ententes de confidentialité protègent les parties) et d’investir le temps nécessaire (professionnels des ressources humaines et gestionnaires impliqués). Pas question pour un recruteur externe d’entreprendre un mandat sans avoir au préalable rencontré le « client final », à savoir le gestionnaire, qu’il s’agisse du conseil d’administration, du comité de direction ou du superviseur de premier niveau : le recrutement doit être une priorité stratégique . L’urgence de pourvoir un poste ne permet pas de sacrifier ces étapes; le risque serait trop grand de manquer la cible et de créer l’effet inverse. Les mandats réalisés dans l’urgence ne sont pas ceux qui se terminent le plus vite en embauchant les meilleures personnes.
Deux parties à servir, mais un seul client!
C’est dans cette relation triangulaire que tout se complique. Car, bien que l’entreprise soit la cliente officielle du recruteur externe, le candidat devient lui aussi un « acheteur ». On choisit son recruteur comme on choisit son comptable ou son avocat. Décider de faire affaires avec quelqu’un qui va vous représenter au sein d’une entreprise et qui jouera le rôle d’intermédiaire et de médiateur n’est parfois pas innocent. La relation qui se construit et s’entretient au fil des mois est donc complexe, car le candidat ne doit en aucun cas pouvoir influencer la décision du recruteur. Il est d’ailleurs difficile d’évaluer un candidat que l’on connaît depuis de nombreuses années et avec qui on a parfois établi une relation amicale. Dans ce cas, mieux vaut recommander cette personne à un collègue.
En effet, le recruteur externe pourrait risquer de perdre son indépendance. Et c’est dans son indépendance que l’on reconnaît un bon recruteur. La garantie pour le client de se faire recommander les bons candidats et pour le candidat de se faire présenter les bonnes entreprises est intimement liée à cette caractéristique. Ainsi, un recruteur indépendant travaille autant dans l’intérêt de l’entreprise que dans celui du candidat. L’entreprise cliente comme le candidat sauront reconnaître et apprécier qu’un recruteur décline un mandat en raison d’un conflit d’intérêts potentiel ou bien refuse de recommander un candidat potentiel dont l’échec dans l’entreprise est prévisible.
Bref, le recruteur externe n’est pas l’ami du candidat et sa force se mesure dans sa capacité à dire non : « Je ne recommanderai pas votre candidature, car vous n’avez pas ce qu’il faut pour réussir dans ce poste. » De la même façon, il est possible de refuser un mandat parce que le recruteur sait d’avance qu’il ne pourra bien servir le client. Une évidence, direz-vous ? Certes, mais ce pas si clair lorsqu’il s’agit de refuser des honoraires. L’expérience démontre pourtant que les recruteurs qui respectent ces règles préservent leur réputation et leur longévité au fil des années. Savoir dire non demande du courage, mais c’est payant à long terme.
Le professionnalisme dans la création de valeur
Être un professionnel du recrutement, c’est aussi accepter de travailler dans une zone grise. Il n’y a pas de mauvais candidat (sauf quelques cas isolés), mais il peut y avoir un individu qui ne correspond pas à une entreprise. Le professionnalisme d’un recruteur se mesure autant dans sa capacité à réaliser les mandats qui lui sont confiés par ses clients que dans l’étendue de son réseau et dans son « approche candidats ». L’expérience client est aussi importante que l’expérience candidat. Le recruteur qui sait exercer sa profession en capitalisant sur ces deux tableaux crée de la valeur autant pour l’entreprise que pour l’individu et finalement pour l’avancement de sa profession.
En pratique :
Pour le professionnel des ressources humaines interne et le gestionnaire :
- Développer une approche de partenariat avec son recruteur externe.
- Impliquer les gestionnaires qui recrutent en amont et les rendre imputables de leurs choix de recrutement
- Établir un processus de gestion du mandat clair et transparent
- Connaître son entreprise en profondeur, sa culture et ses valeurs et avoir une vision claire des talents que l’on recherche au-delà des compétences clés.
Pour le recruteur externe :
- Clarifier son intervention dès le départ et faire preuve de transparence autant pour le client que pour le candidat.
- Ne pas confondre « coaching » des candidats avec l’acte de recrutement en gérant les attentes.
- S’assurer de l’engagement du client dans le processus.
Pour aller plus loin : suggestions de lecture
– The Definitive Guide to Recruiting in Good Times and Bad (2009) par Claudio Fernandez-Araoz, Boris Groysberg et Nitin Nohria
– Chasing Stars: The Myth of Talent and the Portability of Performance (2010) par Boris Groysberg.
– Using branding to attract talent (2005) par McKinsey.
– Making talent a strategic priority (2008) par McKinsey.
Nathalie Francisci
Chroniqueuse, Conférencière, Administrateur de sociétés
www.nathaliefrancisci.com