Par Steve Proulx
C’est un fait, perdre un employé coûte très cher à l’entreprise. C’est pourquoi celles-ci remuent ciel et terre afin de garder les employés qualifiés dans leur giron. Et une bonne façon de le faire, c’est d’améliorer le niveau de bonheur au sein du personnel. Selon une étude du magazine Affaires Plus (1999), 50% des Québécois échangeraient volontiers leur emploi actuel pour un poste moins exigeant. De plus, 43% des employés considèrent consacrer trop de temps à leur vie professionnelle par rapport à leur vie personnelle. Les chiffres sont éloquents et démontrent bien le changement de philosophie que vit présentement le marché du travail.
Si auparavant les industries demandaient du travail physique en échange d’un salaire, aujourd’hui, c’est le cerveau que les entreprises sollicitent. Et pour bien fonctionner, le cerveau a besoin d’être heureux… C’est ce qui est à la base de toutes ces nouvelles réalités dans le monde du travail, le concept du «flow» (le plaisir dans le dépassement), les «perks» (avantages indirects), les «Casual Fridays», les «peptalks» et autres termes branchés qui vont si bien dans la bouche du gestionnaire moderne… Est-il utopique de penser que la question du bonheur des employés peut être réglée par une solution intégrée ou quelques nébuleux préceptes de management? C’est probablement à cause de la grande intangibilité du bonheur au travail qu’il existe aujourd’hui une panoplie de concepts et plusieurs écoles de pensée différentes.
La communication avant tout Auteur et conférencier, Bill Marchesin parle du bonheur avec un plaisir difficile à cacher. Depuis deux ans, il donne des conférences sur le bonheur au travail un peu partout à travers la province. Selon lui, le bonheur est l’affaire de chaque individu : «La motivation la plus importante, c’est celle qui vient de l’intérieur. Il y a des éléments extérieurs qui peuvent nous influencer et contribuer à notre bonheur, mais je pense que ça part de soi aussi.» Lors de ses conférences, Bill Marchesin identifie les éléments-clés qui peuvent améliorer la motivation et la passion au travail. Il invite aussi les participants à évaluer leur «niveau de bonheur au travail» afin de déterminer ce qu’ils pourraient faire pour améliorer leur situation. Parmi les grands problèmes qui minent le bonheur d’un employé, Bill Marchesin note : «Ce qui ressort le plus souvent, c’est au niveau de l’équipe et du climat de travail. Souvent, les gens vont parler de communication: on ne prend plus le temps de s’arrêter pour se parler ou se dire bonjour, tout le monde est stressé, etc. Il est rare que l’on me parle des avantages sociaux ou du salaire. Les gens cherchent davantage à se sentir appréciés et valorisés, autant par leur patron que par leurs collègues de travail.»
Une question d’authenticité Cette vision du bonheur est en partie partagée par la présidente du Groupe Adecco Québec, Linda Plourde. Elle et son compatriote (Rémi Tremblay, président d’Adecco Canada) ont publié un livre portant sur le bonheur au travail, à travers l’histoire d’Adecco Québec. Linda Plourde soutient que le bonheur passe d’abord par l’acceptation de l’authenticité de chacun. «La possibilité d’être soi-même dans nos organisations, pour nous, c’est une prémisse de base.» Bien que facile à définir, le défi de l’authenticité nécessite toutefois une certaine dose de courage de la part des individus. C’est un fait, il n’est pas facile d’être authentique et de s’accepter avec ses forces et ses faiblesses, ses qualités et ses défauts… Selon Linda Plourde: «L’authenticité part davantage des individus, mais évidemment, l’organisation de l’entreprise doit créer un environnement propice.
Est-ce que l’entreprise permet aux personnes d’être elles-mêmes? Est-ce que les personnes se sentent assez confortables? Est-ce que le plein potentiel des individus est reconnu? Est-ce qu’on est une entreprise qui permet l’erreur ou non?» Depuis une quinzaine d’années, Adecco a su entretenir cette valeur d’authenticité au sein de son équipe. Ainsi, chaque année, les employés se rendent dans une retraite (qu’ils appellent un Saint-Paulin, du nom du petit village où ces premières retraites se sont déroulées). Ces retraites sont importantes pour aider les employés à retrouver une zone de confort: «C’est comme si on se permettait de se re-choisir comme organisation. C’est le moment de se recentrer et de se définir davantage en tant qu’individu.»
La folie des perks Au-delà de ces deux visions du bonheur, fortement centrées sur l’individu, plusieurs entreprises déploient aujourd’hui des efforts considérables afin de créer un environnement de travail agréable. Parfois, on parle presque d’une quasi-émulation du chez-soi de l’employé! On installe des douches, des tables de billard, des garderies, des salons, des centres de conditionnement physique… ça n’arrête plus! Il existe un terme anglais pour décrire ces «à-côtés»: les perks (une contraction du mot perquisite). La folie des perks a atteint presque toutes les entreprises de l’économie du savoir. Aujourd’hui, des sociétés se spécialisent dans les perks, en offrant aux organisations des services aussi divers que des repas préparés à emporter pour les familles, des fleuristes, des garderies, des comptables ou même des nettoyeurs sur le lieu de travail. La liste est longue et on ne manque pas d’imagination lorsqu’il s’agit d’inventer un nouveau perk censé améliorer le niveau de bonheur des employés.
Le travail comme religion Mais la quête du bonheur au travail a ses petits côtés pervers. Auteur du livre Corporate Cults, le Dr Dave Arnott a trouvé le moyen de faire la corrélation entre les multinationales et les cultes traditionnels. Créer sur le lieu de travail un environnement presque familial, où le confort ressemble de plus en plus à celui de la maison, contribue selon le Dr Arnott, à s’emparer de la vie des employés. «Les chefs de file découvrent rapidement que des employés qui ont un bon équilibre travail/vie sont non seulement plus heureux, mais plus productifs que ceux qui se font tatouer le nom de leur patron sur le front.» Ainsi, on multiplie les efforts afin de signifier à l’employé que le travail qu’il fait est apprécié, et ce, grâce à des perks ou d’autres stratégies. «L’employé qui permet «ce que je fais» de définir «qui je suis» franchit dangereusement une étape pour devenir un membre d’une secte corporative», écrit Dave Arnott.
L’essentiel de la thèse du Dr Arnott repose donc sur ce rapprochement, pour le moins surprenant, entre les sectes religieuses et les efforts des entreprises pour combiner bonheur et travail. Selon Dave Arnott: «Trois éléments forment une secte traditionnelle : dévouement, leadership charismatique et séparation de la communauté. Lorsque votre travail devient votre famille et votre communauté, vous êtes dans une secte corporative.» Sans aller trop loin dans cette sombre vision des choses, nous devons à tout le moins considérer cet angle: le travail reste le travail, et des efforts pour faire sentir aux employés qu’ils font partie d’une famille, qu’ils sont aimés, qu’ils doivent se tenir contre vents et marées et s’ouvrir aux autres peuvent parfois friser la démesure. Retenons simplement qu’un cadre de travail agréable n’implique pas nécessairement de grands efforts ou des avantages indirects à n’en plus finir. Une pincée de communication, un style de gestion basé sur l’authenticité, le retour à un cadre de travail humain et un peu de soleil… C’est tout ce dont le bonheur a besoin pour pousser!
En savoir plus… Bill Marchesin donne des conférences sur le bonheur au travail. Bill Marchesin est aussi l'auteur du livre Souriez, c'est lundi! Le bonheur au travail c'est possible, publié aux Éditions de l'Homme Linda Plourde est présidente d’Adecco Québec. Le site de l’auteur donne 6 signes qui déterminent si une entreprise est une «secte corporative». Le palmarès des meilleures compagnies où travailler. [http://greatplacetowork.com/]