Les nouveaux Pinocchios : gentils menteurs ou arnaqueurs professionnels?
Qu’ont en commun Scott Thompson, Jean-Pierre Gaillard, Phillippe Berre et Frank Abagnale?
Ils ont menti sur leurs diplômes ou leurs expériences professionnelles lors de leur processus de sélection. En fait, certains diront plutôt « enjolivé » que menti puisqu’il semblerait que ce soit devenu commun de rajouter quelques mois à une expérience professionnelle, histoire de faire le pont entre deux jobs pour éviter de devoir justifier un trou sur le CV, ou encore, de s’approprier les réalisations d’un ancien collègue ou patron. On vit de plus en plus dans une réalité parallèle qui, insidieusement, amène parfois les individus à se prendre pour leurs avatars ou leurs héros de mondes virtuels. Alors quoi, on se rajoute un certificat ou un diplôme en informatique ou un MBA d’une contrée lointaine : « Ya rien là, pis ya pas mort d’homme ! ». Le pire, c’est quand le menteur a réussi à se convaincre lui-même et y croit dur comme fer.
Pourtant, ceux qui sont démasqués en font les frais illico presto, sans fioritures ni indemnités, et leur réputation est minée à jamais (merci Internet!). Demandez à Scott Thompson, ex-CEO de Yahoo obligé de démissionner (à lire ici) parce qu’un des investisseurs savait qu’il avait menti sur son diplôme en informatique (en fait, il avait bien un diplôme… mais en comptabilité!).
Dans ce cas, c’est bien ce que l’on appelle « enjoliver » la réalité. J’ai souvent été confrontée à cette forme de mensonges (car ne nous leurrons pas, il s’agit bien d’un mensonge). Vous savez, la maîtrise en sciences qui n’a jamais été complétée faute d’avoir remis le rapport, le Ph. D. qui n’a jamais vu son aboutissement avec le mémoire final, etc. Les recruteurs doivent-ils donc devenir paranos? Pas de manière pathologique, mais un peu quand même… « Seuls les paranoïaques survivent! », a écrit Andrew Grove, ancien président d’Intel dans les années 1997. La vérification diligente d’une candidature doit donc être une étape menée avec une extrême rigueur et avec l’attitude digne d’un Sherlock Holmes, surtout s’il s’agit d’un membre de la haute direction, du conseil d’administration ou encore d’un cadre associé à une activité stratégique ou sensible (les finances, la recherche et développement, l’informatique, etc.) qui peut mettre à risque l’organisation vis-à-vis des clients, des partenaires, des marchés financiers ou des autorités réglementaires, etc.
Mais voilà, on dirait que plus on monte dans la hiérarchie, plus on se fie sur la réputation de l’individu. « Il est très connu, c’était le bras droit d’Untel », « Je connaissais son père, un homme extraordinaire », « Elle habite dans tel quartier, c’est la voisine d’Untel, ils se connaissent… », « Il était CFO de telle entreprise, il devait être excellent! ». Bref, des réflexions de ce genre, j’en ai entendu à profusion. Comme si on se sentait mal à l’aise de questionner l’intégrité ou la solvabilité d’une personne bien vue. Et pourtant… il s’agit de votre futur dirigeant!
Je me souviens encore de ce candidat au poste de vice-président Crédit qui était LA personne de la situation et dont les diplômes et l’expérience étaient parfaits pour le poste (position qui, en passant, nous avait donné un « mal de chien » à combler après plusieurs mois de recherches infructueuses). Tout était parfait, sauf un détail : il mentionnait avoir suivi un cours à Harvard alors qu’il n’y avait jamais mis les pieds. Nous avons immédiatement mis fin au processus, malgré tout le reste du dossier qui était impeccable.
J’imagine que le chasseur de têtes qui a recruté Scott Thompson a dû se mordre les doigts de ne pas avoir fait une vérification plus rigoureuse. Mais après tout, devrait-on vérifier le certificat obtenu 25 ans plus tôt alors que le candidat possède, à son actif, des réalisations professionnelles dignes de faire la couverture du Time Magazine? (Ma réponse est OUI sans hésitation!). Mais, que diriez-vous si on découvrait demain que Mark Zuckerberg n’était pas diplômé en informatique? Le démissionnerait-on sur-le-champ ou lui pardonnerait-on son erreur de jeunesse en échange de son succès professionnel?
Le petit mensonge ou l’oubli par omission grossit à vue d’œil et finit par dépasser et prendre une ampleur telle qu’aucun retour en arrière n’est possible. Il ne reste plus que la démission comme porte de sortie. Lorsqu’il s’agit d’un cadre de la haute direction, c’est d’autant plus dommageable pour l’entreprise. Je me demande d’ailleurs comment l’évolution du CV vers un modèle dynamique adapté aux réseaux sociaux va changer notre façon de conduire les références. Quelle valeur devons-nous accorder aux références de LinkedIn ou Talent.me ou au fait d’appartenir à un groupe soi-disant réservé aux diplômés d’une Université?
Mais il existe les « escrocs professionnels de la carrière », de vrais « pros » dans l’art subtil de se fabriquer des diplômes, des expériences professionnelles et des références au-dessus de tout soupçon! Jean-Pierre Gaillard est un de ceux là (lire l’histoire ici). Il s’est fait recruter comme directeur d’un aéroport sans avoir aucune compétence, expérience ni diplômes et ce n’est que quelques mois plus tard qu’il a été démasqué par une cliente. Philippe Berre, de son côté, s’est fait passé pour un ingénieur des travaux publics et il a même coordonné les travaux de construction d’un tronçon d’autoroute (à voir le film à son sujet incarné par François Cluzet « À l’origine »). Quant à Frank Abagnale, il prétendait être pilote de ligne et a voyagé aux frais de la Pan American pendant plusieurs années (une autre histoire qui a inspiré le film «Catch Me If You Can» avec Leonardo DiCaprio).
Alors, comment reconnaître les gentils menteurs et les escrocs sans vergogne?
Ne jamais accorder le bénéfice du doute et procéder systématiquement, quels que soient le niveau, la réputation ou le statut, à des enquêtes formelles et détaillées. Sachez poser vos questions car ce sont les questions les plus évidentes et simples qui donnent les meilleures réponses. Vous ne devriez avoir aucune gêne à demander la copie d’un diplôme ou une attestation de titre à un ancien employeur. Votre réputation de recruteur en dépend!
Le mois prochain : Lisez dans « Histoire d’un chasseur de têtes » : Les aventures rocambolesques d’un candidat et d’une cabine téléphonique. (La vérification des références deuxième partie).