Par Stéphanie Alary |
Il est légitime de chercher à connaître un peu plus sur son candidat favori et de vouloir confirmer ou infirmer une impression générale. Quelle place et quelle importance la prise de référence tient-elle dans un recrutement ? Certains la considèrent comme une formalité, d’autres comme un élément majeur. Tout dépend certainement des éléments recherchés dans l’enquête et de leur importance dans le poste à combler. La grande question est : que cherche t-on ? Les dérives sont possibles même si le cadre réglementaire s’est resserré et affiné au cours des dernières années.
Que vérifie t-on et comment ? Les éléments les plus fréquemment vérifiés sont d’une part les références auprès des anciens employeurs (période d’emploi, la description des tâches, la qualité du travail accompli, les qualités managériales et relationnelles, l’honnêteté, l’intégrité de la personne, la raison du départ, etc.) et d’autre part les études suivies, les diplômes obtenus ainsi que l’appartenance à des ordres ou associations professionnelles. La liste n’est pas exhaustive, dépendant du poste requis, le dossier judiciaire et le dossier de crédit peuvent aussi être vérifiés.
D’après Richard Matte, Directeur associé de Matte Groupe Conseil, une étude américaine démontre que l’on peut bien prévoir la performance d’un employé en interrogeant 9 personnes parmi ses supérieurs, ses collègues, ses subordonnés, ses clients et fournisseurs. Il n’est pas toujours possible de consulter un tel nombre de personnes (dépend de l’expérience et du nombre de contacts donnés par le candidat) mais plus elles sont nombreuses, plus la chance de recouper des informations est importante. Il est important aussi de ne pas se limiter aux patrons qui vont surtout s’attacher aux résultats produits par l’ex-employé et qui seront moins au courant d’autres éléments comme l’aspect relationnel par exemple. Certaines évaluations, lorsqu’elles sont transmises par le candidat sont très révélatrices, il s’agit d’évaluations à 360° car elles prennent en compte l’avis du supérieur hiérarchique, des pairs et des subordonnés (clients et fournisseurs internes).
Pour Michel Normandin de Keyfacts Canada, les vérifications peuvent être faites pour tous les niveaux d’emplois. Les compagnies investissent beaucoup d’argent dans la formation de leur personnel et veulent être certaines de vérifier les points forts et les points à améliorer des candidats avant de combler les postes. Nathalie Francisci, Présidente de Venatus Conseil, si elle impartit les éléments statutaires, préfère faire elle-même la vérification auprès des anciens employeurs afin de bien valider la recherche ; la personne qui a sélectionné le candidat est la mieux placée et sait ce qu’elle veut voir confirmé. La vérification se fait la plupart du temps à la fin du processus de recrutement, sur le candidat finaliste voire les trois derniers retenus. Il s’agit de sélectionner le candidat en amont sans a priori et sans avis externe pouvant influencer le jugement. Le recruteur externe ne peut être juge et partie, celui qui recommande et celui qui “sanctionne”. La fiabilité des informations données par un ancien employeur est souvent discutée, rares sont les très mauvaises références (sauf gros problème).
Pour illustrer ce propos, un professionnel en recherche de cadre nous précise que des aspects négatifs peuvent apparaître à la 4ème ou 5ème prise de référence. Il nous raconte qu’il aurait pu passer à coté d’une information importante au cours d’une vérification : rien d’anormal n’était apparu chez le candidat potentiel, or, la dernière question posée en guise de conclusion était “si l’occasion se présentait, réembaucheriez-vous cette personne ?”, la personne interrogée s’excuse alors, va fermer la porte de son bureau et révèle qu’il avait eu un problème pour fraude avec ce candidat.
Le cadre réglementaire : Au cours des années, différentes lois furent adoptées par les différents gouvernements. Ces lois protègent tous les citoyens contre les invasions dans leurs vies privées. Depuis lors, il est obligatoire d’obtenir un consentement des candidats avant de procéder à une enquête de pré-emploi. Les renseignements doivent être conservés de façon sécuritaire et le candidat peut avoir accès à son dossier pour consultation. La loi sur les normes du travail traite à l’article 84 du certificat de travail et de son contenu. Elle délimite donc les informations que l’ancien employeur a le droit de transmettre sans autorisation, à savoir : la nature de l’emploi, la période de celui-ci et le salaire gagné. L’article précise que le certificat ne peut faire état de la conduite du salarié ou de la qualité de sa prestation de travail. La Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé précise que “nul ne peut communiquer à un tiers les renseignements personnels (…) à moins que la personne concernée n’y consente” ; la loi stipule aussi que “le consentement doit être manifeste, libre, éclairé et être donné à des fins spécifiques”. La Charte des droits et libertés de la personne mentionne que “Nul ne peut exercer de discrimination dans l’embauche” sur les critères suivants : ” la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge (…), la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.”
De plus, nul ne peut, dans un formulaire de demande d’emploi ou lors d’une entrevue relative à un emploi, requérir d’une personne des renseignements sur les motifs visés ci dessus sauf si ces renseignements sont en rapport avec les aptitudes ou qualités requises par un emploi. Ceci exclut donc le caractère général que peut présenter certaines demandes de consentement, elles doivent être spécifiques et en rapport avec l’emploi. On peut citer un cas où la CSST avait à juste titre refusé de transmettre des informations car elles n’avaient aucun rapport avec l’emploi postulé, les consentements recueillis étaient d’ordre général et ne faisaient pas apparaître le caractère libre et éclairé des candidats.
Christiane Péloquin, Directrice des Ressources Humaines chez Raymond Chabot Grant Thornton chez qui les vérifications pré-emplois ont été approfondies depuis 3 ans, précise qu’une fiche définit le type de vérifications à faire pour chaque poste. Les entreprises qui demandent donc systématiquement les mêmes vérifications pour tous les types d’employés (y compris parfois un examen médical) pourraient ne être pas dans leur droit. La personne donnant les références sur un candidat peut engager la responsabilité de son employeur dans le cadre d’une diffamation, à ce titre, certaines compagnies refusent de fournir des références d’emploi suite à une directive interne. Il est parfois conseillé aux employeurs d’ajouter la clause suivante dans les formulaires d’autorisation : “le postulant renonce à vous poursuivre ou à poursuivre tout ancien employeur en raison de renseignements obtenus dans le cadre de la vérification des références.” Par ailleurs, ces formulaires devraient aussi préciser la durée de validité du document afin de prévenir une utilisation abusive hors contexte du recrutement. La fiche de consentement du candidat dénote une certaine hypocrisie, on peut s’interroger sur le caractère “libre” du consentement, la personne en recherche de travail est rarement en position de force et un refus jette automatiquement un doute sur sa personne.
Pour Natalie Bussière, Avocate pour la société d’avocats Desjardins, Ducharme, Stein et Monast, les principes de la Charte sont entrés dans les mœurs et sont respectés. Les employeurs souhaitent être efficaces dans la recherche du bon candidat et ne veulent pas s’encombrer d’informations inutiles qui nuiraient à leur jugement. Ils ne souhaitent pas aller là où la loi ne les autorise pas et prendre le risque de faire l’objet d’allégations pour discrimination. Les mensonges sont-ils fréquents ? Selon les professionnels du recrutement, les menteurs professionnels sont rares, les CV sont par contre souvent enjolivés, les périodes sont allongées pour masquer un vide ou un diplôme est annoncé alors que les cours n’ont pas été validés en totalité. On trouve des statistiques sur certains sites Internet qui pourraient rendre les employeurs paranoïaques : “22% des candidats ont soit faussé ou modifié leur CV”, “80% des délits sont commis en interne”, “Si vous avez plus de 5 employés, vous avez probablement été victime de fraude l’année dernière” lit-on dans le huitième sondage mondial d’Ernst & Young réalisé auprès de grands employeurs dans le monde entier, ” Le vol en entreprise représente 1,5 à 2% des ventes ” selon une enquête de Samson Bélair Deloitte & Touche réalisé auprès des entreprises canadiennes.
Les pratiques douteuses : Peut-on savoir la vérité sur tout ce qui se fait ? Dans la plupart des cas les lois et les principes sont respectés, les entreprises et les professionnels sont entourés d’avocats et suivent la règle. Il est cependant difficile de ne pas s’interroger sur certaines pratiques excessives. Les abus existent, par exemple, une candidate s’est vue refuser un poste car au cours de la visite médicale, l’employeur potentiel a découvert qu’elle suivait un traitement au Lithium (utilisé dans les psychoses maniaco-dépressives). Un même cas s’est produit pour une personne souffrant d’hypertension artérielle, refusé car le poste demandait une certaine résistance à la pression. Ces cas ne sont pas isolés, les exemples ne sont pas rares et pourtant, peu de recours en justice sont entrepris. Le déséquilibre est grand, le candidat est rarement en position de force pour lutter contre toute discrimination. Au cours de la préparation de l’article, certaines personnes ont refusé de répondre aux questions, même sous couvert de l’anonymat, les autres sont restés très prudents et ont tenu des propos réservés au cadre légal. Nous savons pourtant bien que la théorie et la pratique s’éloignent parfois, ” l’essentiel, c’est de ne pas se faire prendre “.
Pour exemple, un professionnel d’une firme de vérification déclare tout faire dans le respect des droits des personnes mais au fil de la discussion, nous dit que pour certains postes de cadres, il peut arriver de se déplacer au domicile du candidat pour cerner le rythme de vie de celui-ci ou même pour vérifier s’il ne mène pas une double vie. Une autre agence de vérification nous dit que si son client n’obtient pas l’autorisation du candidat, ses honoraires pour effectuer la vérification sont bien évidemment plus élevés ! Est-ce une pratique courante, certainement pas mais certains postes sont peut être particulièrement vérifiés et les enquêtes ne s’arrêtent pas aux seules exigences du poste à combler.
Conclusion : Aller chercher des informations générales peut donner lieu à des dérives, toutes les vérités ne sont peut-être pas bonnes à savoir car elles vont donner lieu à des préjugés et interprétations fausses. Actuellement, la demande d’emplois est plus importante que l’offre dans beaucoup de domaines, aussi l’employeur peut être tenté de sélectionner ses candidats sur des éléments qui relèvent du domaine privé. On comprend néanmoins qu’un antécédent d’alcoolémie au volant pour un chauffeur de bus, un antécédent de pédophilie pour un agent en garderie d’enfants ou une fraude fiscale pour un comptable sont des éléments indispensables à vérifier, cela tombe sous le sens. La prise de références ne doit cependant pas être vue uniquement sous l’angle de la protection ou de la sanction, un dossier vierge ne doit pas être une condition sine qua non à l’embauche. La prise de référence peut aussi être utilisée dans une optique développementale du futur employé et donner lieu à des recommandations dans le cadre d’une évaluation de potentiel.