L’intégration en emploi des immigrants et des communautés culturelles

Ces derniers mois, plusieurs études ont fait part de difficultés de la part des immigrants et des communautés culturelles à intégrer le marché du travail. Portrait d’une situation qui allume une lumière rouge concernant le racisme. De nouveaux outils sont en voie d’implantation.

Dans une thèse de doctorat dirigée par Jean Renaud, professeur à l’Université de MontréalJean-François Godin dresse un portrait d’un millier d’immigrants arrivés au Québec en 1989, visas en main, excluant ainsi les demandeurs du statut de réfugiés. Il évalue leur évolution en emplois sur une période de dix ans. Il admet que les trois premières années suivant l’arrivée au Québec constituent des périodes d’adaptation, mais que si des disparités existent encore dix ans après l’arrivée au pays et qu’elles ne s’expliquent que par la provenance d’une région du globe, le potentiel de discrimination et de racisme est grand.

« Les nouveaux arrivants parviennent avec le temps à une stabilité sur le marché du travail, conclue Jean-François Godin. Règle générale, la mobilité salariale et professionnelle se fait de façon ascendante. En revanche, celles-ci semblent stagner pour quelques groupes natifs de régions spécifiques, notamment les asiatiques de l’Est, les maghrébins et les moyens-orientaux. »

En mars dernier, Jean Renaud publie une étude sur l’intégration des immigrants au marché du travail québécois selon leur niveau de scolarité. L’étude se concentre sur les immigrants sélectionnés dans la catégorie de travailleurs, arrivés au Québec entre 1997 et 2000. C’est la première étude à mesurer l’impact des différents facteurs de réussite de l’intégration au marché du travail. Les plus influents sont le niveau de scolarité, la préparation à la migration, les séjours préalables et la région d’origine.

Trois mois après leur arrivée au Québec, la moitié de ces immigrants avaient obtenu un premier emploi et, après une année, un emploi correspondant à leur niveau de scolarité. Plus des deux tiers avaient obtenu un tel emploi cinq ans après leur admission. Une fois cet emploi obtenu, rares sont les immigrants qui subissent une déqualification (12% des répondants). Toutefois, « les immigrants issus d’Asie, du Moyen-Orient et de l’Océanie semblent désavantagés, mentionne Jean Renaud. Pour eux, toutes choses étant égales par ailleurs, l’accès à un emploi et à un emploi qualifié est significativement plus lent. »

Acclimatation plus lente ou résistance de la société d’accueil? L’étude ne permet pas de conclure. En entrevue avec La Toile des recruteurs, Jean Renaud précise toutefois que « lorsque certains effets perdurent au fil du temps, on peut de fait poser l’hypothèse du racisme. C’est l’hypothèse la plus vraisemblable. »

Paradoxalement, les immigrants francophones pourraient vivre des difficultés particulières. « Les immigrants du Maghreb, généralement francophones, ne sont pas intégrés au COFI, observe le professeur. Or, en plus de la langue, on y enseigne la culture québécoise, ce que les immigrants francophones doivent apprendre par eux-mêmes. »

En octobre 2005, Leslie Cheung, étudiante de troisième cycle en politiques gouvernementales à l’Université Simon Fraser, y allait d’un constat étonnant dans un rapport remis au Congrès du travail du Canada. « En fait, écrivait-elle, c’est la population racisée, non immigrante, mieux éduquée que la moyenne de la population, qui a le plus de difficultés à trouver des emplois permanents à des salaires décents. Le fait que des personnes de couleur, nées au Canada, éprouvent des difficultés sur le marché du travail, ne peut s’expliquer uniquement par le manque d’expérience et de titres de compétence canadiens. »

L’auteure signale que les personnes racisées tendent davantage à occuper des emplois de bas niveau dans le commerce de détail ou le travail de bureau, tout en subissant un plafonnement voilé qui les empêche d’atteindre des postes supérieurs.

Situation au Canada en 2000

Taux de chômage (%)

Salaire ($)

Proportion de titulaires d’un diplôme universitaire chez les 25 à 44 ans (%)

Personnes de couleur nées au Canada

10,7

21 983

37,5

Immigrants et immigrantes de couleur

9,1

25 205

31,5

Autres travailleurs et travailleuses

7,1

30 141

19,1

Source : Leslie Cheung, Le statut racial et les résultats sur le marché du travail, Congrès du travail du Canada, Octobre 2005.

Le taux de pauvreté y est aussi très grand : en 2000, « plus de la moitié des célibataires de couleur, de 15 ans et plus, vivent dans la pauvreté », écrit Leslie Cheung. Pour l’ensemble des célibataires canadiens, ce taux est de 38%. Chez les familles, les taux sont respectivement de 26% et de 13%, du simple au double.

Et pourtant, ce n’est pas l’éducation qui manque! Proportionnellement, les personnes de couleur nées au Canada sont deux fois plus nombreuses à détenir un diplôme universitaire que la population blanche.

Qu’en est-il au Québec? Malgré un taux de diplomation universitaire similaire à l’ensemble de la population, le taux de chômage est deux fois plus élevé chez les québécois de race noire. En mars 2006, Mme Yolande James, adjointe parlementaire à la ministre de l’Immigration et des Communautés culturelles présentait le rapport du Groupe de travail sur la pleine participation à la société québécoise des communautés noires. À l’automne 2005, le groupe de travail qu’elle préside a mené des consultations auprès de 275 groupes.

Le constat : « Il ne fait aucun doute, estime le rapport, que parmi les minorités visibles, les Québécois issus des communautés noires éprouvent des difficultés particulières d’accès à l’emploi, notamment pour cause de discrimination à leur égard. (…) Si l’ouverture de la majorité des Québécois à la diversité a été soulignée par plusieurs participants, signale le rapport, le racisme, la discrimination raciale et le profilage racial ont été mentionnés dans la majorité des séances. De l’avis de bon nombre de participants, le racisme et la discrimination raciale se manifestent de façon indirecte et de manière parfois inconsciente, mais leurs effets au sein des communautés noires sont néanmoins bien réels et touchent divers enjeux : l’accès à l’emploi, la criminalisation des jeunes et le décrochage scolaire. »

Le Groupe de travail recommande l’adoption d’une politique de lutte au racisme et à la discrimination raciale et d’une stratégie de communication publique visant à mettre en valeur des modèles positifs issus des communautés noires et une campagne continue de sensibilisation.

La reconnaissance des diplômes et de l’expérience acquis à l’étranger pose encore problème. Le rapport mentionne : « Le délai d’attente pour l’obtention d’évaluations comparatives des études effectuées à l’étranger, le fait que les exigences des ordres professionnels ne correspondent pas à celles du ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles, le coût et la durée des procédures requises par les ordres eux-mêmes, sont autant de reproches qui ont été formulés. »

Pour faciliter l’accès aux professions, le gouvernement québécois déposera sous peu un projet de loi pour faciliter l’octroi d’un permis d’exercice restrictif. « Cela permettrait au nouvel arrivant de pratiquer dans son domaine pendant ses démarches pour l’obtention d’une reconnaissance pleine et entière de la part de l’ordre professionnel concerné », estime Yolande James.

Une série de recommandations concerne la fonction publique : formation des gestionnaires sur la gestion de la diversité ethnoculturelle, adoption de plusieurs moyens favorisant l’embauche de personnes provenant de minorités visibles, publication des résultats dans les rapports annuels, etc. « On s’attend d’une gouvernement qu’il montre l’exemple », affirme la présidente du Groupe de travail.

Dans le secteur privé, les recommandations sont d’ordre incitatif : regrouper les entreprises au sein d’un projet mobilisateur à définir et inviter les employeurs, dont les syndicats, les corporations professionnelles et les organismes à but non lucratif à assurer une juste représentation des minorités visibles au sein de leurs instances et de leur personnel.

« Nous voulons réunir les grandes entreprises autour d’une même table afin de présenter les expériences intéressantes de gestion des ressources humaines à l’égard des communautés noires, qu’il s’agisse de l’embauche ou de la formation à la gestion des diversités culturelles », précise Yolande James. Les grandes entreprises ont déjà adopté de telles politiques. Reste à passer le message aux PME, une importante source d’emplois. D’ici l’été, la ministre de l’Immigration et des Communautés culturelles, Lise Thériault, annoncera la formation d’un comité composé de leaders du monde des affaires. Il aura le mandat de promouvoir une saine diversité culturelle dans les entreprises.

L’entrepreneurship constitue un enjeu. Sur recommandation du Groupe de travail, le ministre du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation, Raymond Bachand, a accepté le mandat de créer un chantier économique pour faciliter et encourager le dynamisme entrepreneurial des minorités visibles.

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