Tout recruteur d’expérience sait que ce métier regorge de surprises. Même un processus de recrutement aux allures féériques peut basculer à tout moment… On ne sait jamais jusqu’à la toute fin si le processus connaîtra un dénouement heureux. Malgré les vérifications diligentes les plus scrupuleuses, notre candidat vedette peut se transformer en un M. ou une Mme Hyde au détour d’un test psychotechnique, d’une vérification de référence ou encore d’une mise en situation plus corsée!
Imaginez, un instant, votre candidate ou candidat idéal : formation parfaite, expérience couronnée de succès et de reconnaissances diverses et variées, doté(e) de surcroît d’une personnalité hors du commun! Trop beau pour être vrai… Tous les recruteurs ont un jour rencontré ce spécimen et tous ont tremblé devant l’étape ultime des tests psychotechniques et du psychologue ou de la vérification de ses antécédents professionnels pouvant révéler au grand jour la face noire et insoupçonnée (surtout par vous!) de cet individu. Rendu à cette étape, le recruteur aspire à ce que l’on lui confirme que le candidat marche littéralement sur l’eau et déplace des montagnes. Mais, il arrive que ce « Messie » soit en fait possédé par une maligne tendance à écraser tous ceux qui se mettraient en travers de son chemin. Si les témoins sont rares et ne le clament pas sur la place publique, leurs confidences sous le sceau de la confidentialité des références peuvent semer le doute. Le candidat serait une espèce de bombe à retardement qui peut exploser à tout moment. C’est donc au recruteur d’évaluer le risque que présente le candidat s’il est embauché. Si le risque zéro n’existe pas, le devoir du recruteur est de le minimaliser et de connaître les dommages possibles. Aborder cette étape requiert un savoir-faire très spécifique. Si certains préfèrent l’éviter et passer au plan B directement (s’il existe…), ils risquent peut-être de manquer un candidat exceptionnel. Quand on pense à Steve Jobs, ce n’est certainement pas le meilleur modèle de management et de leadership, et ses anciens collaborateurs n’avaient pas que de très jolies choses à raconter à son sujet. Pourtant sans lui, Apple ne dominerait pas son industrie.
En résumé, dans une main vous avez le candidat miracle et de l’autre vous avez des rapports de référence ou des tests psychotechniques qui sèment le doute et la confusion. Si vous vous retrouvez un jour dans cette situation, sachez qu’il n’y a pas mille options. La plus sensée est celle de convoquer votre candidat de toute urgence et de lui demander de vous parler du côté obscur que l’on vous a décrit. Une entrevue plus sportive certes mais qui, au final, vous donnera la note juste sur la nature profonde de la bête. Plus musclée ne veut pas dire accusatrice pour autant en mettant l’individu sur la défensive. Au contraire, mettez-lui la situation en perspective. Plus vous chercherez à le confronter et à le mettre sur la sellette, plus il va chercher à se défendre. Ne le sous-estimez pas, car il est assez futé pour vous voir arriver avec vos gros sabots et, en prime, il connaît certainement l’existence d’un certain M. Hyde dont il a déjà dû subir les affres. Soyez suffisamment fin renard pour faire surgir son côté « givré » et voir sous quelle forme il se manifeste et s’il est acceptable à long terme.
Tout d’abord, prévoyez suffisamment de temps pour cette délicate rencontre, toujours en personne. Établissez un climat de confiance, serein et propice à des échanges authentiques et préparez-vous à revisiter « The Good, the Bad and the Ugly »! Ce n’est donc qu’à l’issue d’une période d’échanges cordiaux sur le poste, sur les différentes étapes franchies jusqu’à présent et sur l’intérêt réel que vous portez à sa candidature (très important de le rassurer sur son attrait) que vous amènerez tranquillement (mais sûrement) l’existence de cette autre personnalité occultée. Évidemment, la conversation va prendre à un moment ou un autre une tournure plus difficile; vous allez aborder quelque chose qui va le mettre mal à l’aise. Son niveau de stress va augmenter, car il va immanquablement percevoir l’enjeu de se révéler sous une lumière moins flatteuse et risquer de perdre l’emploi convoité. C’est exactement ici que vous pourrez avoir une bonne idée de sa façon de gérer des situations délicates et d’avoir des conversations ardues. Je me souviens encore, très précisément, d’une entrevue de ce genre avec un gestionnaire reconnu autant pour sa vision et son génie que pour sa fâcheuse tendance à être plutôt rude et tranchant lorsque ses employés ne livraient pas assez rapidement les résultats. La question est : « Sommes-nous capables de vivre avec ses défauts et de quels genres de personnes devra-t-il s’entourer? »
Lors de cette rencontre, précisez à nouveau les valeurs qui animent votre organisation ou votre département. Vous prendrez soin de mettre l’accent sur ce qui est essentiel comme facteurs de succès pour réussir dans le poste. Que ce soient le travail d’équipe par la collaboration et l’entraide, le sens de l’engagement dans le travail, les longues heures et le taux de voyagement, le service à la clientèle, etc., sachez que les M. Hyde peuvent autant prendre les traits d’un collègue harcelant, d’un « microcadre » que d’un gestionnaire trop conciliant qui ne sait pas dire « non » et qui va se faire manger tout cru par ses équipes. Tout dépend de ce dont vous avez besoin et des valeurs de votre organisation. Si vous évoluez dans un environnement hautement compétitif où il faut savoir barouder, vous avez possiblement plus besoin d’un valeureux guerrier que d’un doux pacifiste. Ce qui peut paraître plus sombre pour certaines organisations peut être un atout pour d’autres.
Demandez au candidat de vous parler de son M. Hyde : « Nous avons eu vent d’un certain M. Hyde…, l’auriez-vous déjà rencontré? Est-ce possible que dans certaines situations bien précises et exceptionnelles, il fasse apparition? » N’hésitez pas à parler de votre propre cas ou d’un cas connexe : « Moi-même, j’ai une tendance à être parfois contrôlant. En fait, j’aime tellement la perfection et le travail bien fait que cela me rend parfois impatient… » Bref, ouvrez-lui la porte, tendez-lui la main. Dans la majorité des cas, l’individu reconnaîtra l’existence de ce double personnage moins glorieux.
Votre travail consistera alors à valider s’il en est assez conscient pour le maîtriser et s’il a les capacités pour dompter le féroce animal. Personne n’est parfait, le candidat idéal n’existe pas, pas plus que ce que vous avez à offrir ne présente pas de mauvais côtés… L’essentiel est de savoir à quoi s’attendre et surtout de recruter un Docteur Jekill qui a l’antidote sous la main pour pouvoir parer à toute apparition subversive d’un M. Hyde en panique. Avoir conscience de son côté obscur, c’est cinquante pour cent du travail de fait. Le recruteur doit savoir faire la différence entre un M. Hyde domestiqué et un M. Hyde à l’état sauvage, c’est ici toute sa valeur ajoutée. Et vous, cher recruteur, sous quels traits se cache votre diable intérieur?