Par Guylaine Boucher
Âgée de près de 40 ans, Michèle avait derrière elle un impressionnant bagage d’expérience. Créative, rigoureuse, perfectionniste, elle avait, en apparence, toutes les qualités dont le directeur de l’agence qui l’a embauchée rêvait pour une infographiste. Pourtant, deux mois à peine après qu’elle se soit jointe à l’équipe, le rêve tournait au cauchemar et elle était remerciée. Absente une fois sur trois, elle ne parvenait pas à être ponctuelle, ce qui occasionnait d’importants retards et délais dans son travail. Parce qu’elle avait évoluée pendant longtemps en équipe et systématiquement confié certaines tâches à son conjoint et collègue, elle ne possédait pas non plus très bien les rudiments de nombreux logiciels essentiels à son travail. Essoufflé, après de nombreuses tentatives de réajustements, le gestionnaire a finalement baissé les bras.
De l’argent sonnant L’histoire n’a rien de bien original. Au Québec comme ailleurs, chaque semaine, voire chaque jour, des situations semblables sont vécues par les dirigeants d’entreprise ou les responsables des ressources humaines. Année après année, des milliers de dollars s’envolent d’ailleurs ainsi en fumée. En fait, de l’avis de Richard Matte, psychologue industriel et directeur de Matte Groupe Conseil – ICC Partenaires, « le coût de remplacement moyen pour un employé est de une à trois fois son salaire annuel ». Certaines études américaines, elles, parlent de coûts avoisinant les 15 000 $ pour une simple embauche. Difficile à croire ? Il suffit d’aligner les possibles dépenses encourues pour constater qu’il n’y a là aucune exagération. Rares sont les entreprises qui échappent par exemple aux déboursés en lien avec les annonces dans les journaux, à l’utilisation des services d’une agence de recrutement ou d’un chasseur de têtes, aux tests ou encore même aux examens médicaux que le recrutement occasionne.
C’est sans compter l’argent qui peut être dépensé en paie de séparation lors d’un départ, en temps supplémentaire effectué par les autres employés pour assumer le remplacement temporaire ou encore en formation pure et simple après l’embauche. Moins évident aux premiers abords, le temps consacré à la démarche de recrutement coûte d’ailleurs, lui aussi, très cher à l’entreprise. C’est le cas notamment du temps investi en matière de préparation des entrevues, des entrevues elles-mêmes, de la gestion administrative derrière l’ajout d’un nouvel employé, de la formation et de l’accueil, tout comme du pairage spontané qui sera réalisé par les autres travailleurs. À ce rythme-là, soutient Richard Matte, « une erreur de sélection peut coûter très cher, parce que tous ces investissements auront été faits dans le vide ».
Baisse de performance Un faux pas en matière de recrutement est d’autant plus dispendieux que les coûts engendrés par un remplacement ne se limitent pas aux frais les plus apparents. Miser sur la mauvaise personne peut aussi largement hypothéquer la performance d’une entreprise. Partant du principe qu’il est quasi impossible d’exiger d’un nouvel employé qu’il soit efficace dès son entrée en fonction, peu importe les tâches assumées, une certaine période est nécessaire pour se familiariser avec les systèmes, les procédures propres à la firme et l’équipement. Il s’en suit une certaine inefficacité et d’importantes pertes de temps qui peuvent, selon Richard Matte, « occasionner une baisse ou une perte de clientèle en raison du moins bon service offert, surtout si l’employé en question ne cadre pas du tout dans le poste et qu’il fait erreur par dessus erreur ».
Gestionnaire d’une firme de communication graphique, Éric Thivierge en sait quelque chose. « Quand j’embauche un nouvel employé, il est rare qu’il soit véritablement « fonctionnel » avant un mois ou deux. Il doit passer beaucoup de temps à apprivoiser les dossiers, à connaître les clients et à s’installer tout bonnement. C’est normal et je le prévois lors de l’embauche. Ce qui complique les choses, c’est quand, en plus, la personne n’a pas les compétences qu’il faut. Je suis déjà passé à deux cheveux de perdre un client important parce qu’une nouvelle graphiste avait pris beaucoup de retard et qu’elle avait fait plein d’erreurs dans un dossier que je lui avais confié, tout simplement parce qu’elle n’avait pas posé les bonnes questions. Il m’a fallu beaucoup de persuasion pour calmer le jeu et finalement maintenir les liens avec le client en question. » À long terme, selon Richard Matte, l’introduction d’un « mauvais » candidat dans une entreprise peut également miner l’esprit d’une équipe entière. « Le stress et la surcharge de travail qu’occasionne l’introduction d’un nouvel employé sont assumés tant par la direction que par les collègues de travail.
La majorité des gens trouveront normal de palier pendant un certain temps, mais quand ils font face à des personnes incompétentes, c’est beaucoup moins évidemment. Souvent, le moral des plus positifs du groupe sera affecté. Dans certains cas, si on tarde trop à remédier à la situation, des employés clés décideront même de quitter tant la situation les démotive. C’est extrêmement dommageable.»
Erreurs et solutions pour éviter le pire Chasseur de têtes et président de Michel Pauzé et Associés, Michel Pauzé a fait du recrutement son activité principale depuis des années. À son avis, le faux pas le plus courant est de vouloir tellement embaucher une personne – pour toutes sortes de raisons, comme la sympathie – qu’on ne voit que ses bons côtés. Il affirme donc « qu’il faut se méfier de notre première réaction. On ne doit pas la négliger, mais il ne faut pas non plus s’en tenir qu’à elle. » Une méprise sur les besoins réels de l’entreprise et les compétences nécessaires pour remplir un emploi peut aussi, à son avis, occasionner de nombreux problèmes, tout comme le fait de négliger de vérifier les références. Heureusement, certaines mesures ou façons de faire peuvent réduire les risques d’erreur en matière de recrutement.
Le recours à certains outils tels que des entrevues semi-structurées et structurées, des jeux de rôle, des mises en situations et des tests de connaissances figurent au nombre des éléments susceptibles de faire une différence. L’évaluation par les futurs pairs, la vérification en profondeur des références, si possible même auprès des ex-collègues de travail et certains tests psychométriques sont aussi des options gagnantes. Pour Richard Matte, il est aussi extrêmement important que l’on profite de l’entrevue pour, non seulement, recueillir de l’information sur ce que le candidat PEUT faire, mais aussi sur ce qu’il VEUT faire, soit ses intérêts et objectifs de carrière. « Quelqu’un peut avoir toutes les compétences qu’il faut pour remplir un poste mais rêver de complètement autre chose et se révéler totalement démotivé face à ce qu’on lui propose une fois embauché ».
À ce chapitre, le conseiller en ressources humaines est d’avis que quatre grandes questions s’imposent : Vous voulez travailler pour qui ? Vous voulez faire quoi? Comment doit être votre environnement ? Où voulez-vous travailler ? « Les réponses à ces questions varient beaucoup selon la génération ou le style de vie de l’individu interviewé. Peu importe les réponses, à chaque fois, il faut se demander si notre entreprise peut offrir l’environnement que la personne recherche. Trop souvent des inadéquations entre les attentes des gens et la réalité d’une entreprise tournent mal. » Dans le même ordre d’idée, donner de l’information sur l’entreprise, sur son fonctionnement, sur les clients, etc., devrait aussi être une priorité pour les gens qui sont responsables de faire passer les entrevues. C’est ce que Richard Matte affirme : «l’échange d’information permet souvent de voir la réaction des gens, leurs intérêts pour tel ou tel type de projets, de fonctionnements, de culture d’entreprise, etc. Après tout, les candidats hautement performants sont aussi les plus sollicités alors pourquoi ne pas, nous aussi, vendre un peu notre salade ?».