Les ressources humaines devraient être plus « business » et stratégiques! Nous avons tous déjà entendu ce refrain. Je dirais même qu’il commence à s’user un peu. Je me souviens déjà, fin des années 1990 en programme de maîtrise, les professeurs nous martelaient qu’il fallait penser « business » et que nous n’étions ni en socio ni en pédagogie mais en économie des RH. C’est drôle, cette réflexion m’a frappée récemment lorsque, en réunion de direction avec une entreprise, nous envisagions différentes stratégies pour attirer les jeunes talents et retenir les plus vieux. En fait, nous discutions de faits économico-socio-ressources humaines. Les forces vives de l’entreprise allaient prendre leur retraite d’ici trois ans et personne n’était prêt pour les remplacer. Ô malheur, ô désespoir! Malgré le fait que depuis quinze ans on sait ce qui nous pend au bout du nez, personne n’a eu assez de courage pour prendre ou forcer les décisions qui s’imposaient soit recruter massivement en amont pour former une relève potentielle, affecter les hauts potentiels dans des fonctions stratégiques et leur confier des responsabilités et responsabiliser les boomers pour coacher et les « mentorer » lorsqu’ils partiraient se dorer la pilule en Floride… Oui je sais, vous l’avez dit mais pas assez haut et fort, et surtout, sans quantifier le risque de ne rien faire.
Je vous semble peut-être naïve et un peu simpliste! Certes, il n’en reste pas moins que ce que je viens de décrire se nomme le manque de courage corporatif ou « l’engagement corporatif ». Cela prend en fait un membre du comité de direction qui va se positionner comme le « faiseur de trouble », vous savez celui qui voit un peu plus loin et qui a suffisamment d’outils pour modéliser et présenter en réunion de direction ou du CA les chiffres qui tuent. Allo la terre… dans cinq ans nous n’aurons plus personne pour opérer nos machines – qui en passant seront désuètes –, nos processus obsolètes et nos procédures périmées. Pourrions-nous penser un peu long terme, SVP?
Avant tout, une fonction RH – avant d’être « business » – devrait être proche des opérations, savoir ce qui s’en vient, comprendre l’évolution des besoins de nos clientèles, connaître les tendances sociodémographiques, les tendances économiques et être capable de dresser un portrait de la compétition. En clair, il faudrait qu’elle se tourne sur les données extérieures pour les comparer aux données internes. Une fois que la fonction RH aura suffisamment d’informations pour poser un diagnostic externe, chiffres et tableaux de bord à l’appui, elle pourra se concentrer sur l’interne et mettre les écarts en évidence. Subitement, tout semblera plus clair. En un coup d’œil, on verra l’écart entre les données de marché et notre situation actuelle.
Les directions de ressources humaines devraient investir dans leur propre capital humain en misant sur la diversité des expertises et en recrutant autant d’experts en provenance des opérations que d’économistes, de professionnels du marketing (les vrais, ceux qui font les études de marché), des sociologues et des experts en modélisation. Ce qu’il manque à la fonction RH, ce sont des tableaux de bords et des données chiffrées qui appuient des données démographiques, sociologiques et des tendances de sociétés. Si les finissants des baccalauréats de votre discipline fétiche de recrutement sont des filles, peut-être devriez-vous préparer un modèle de recrutement intégrant leur condition physique (elles feront toutes des bébés entre 28 et 35 ans) d’ici les prochaines années, leur origine socio-démographique, le facteur diversité, le facteur économique avec votre plan d’affaires corporatif? Peut-être allez-vous avoir besoin d’un expert en économétrie? Y aviez-vous pensé?
Il ne suffit pas de crier au loup mais de prouver ce que vous avancez. Les comités de direction et les conseils d’administration sont comme saint Thomas : ils ne croient que ce qu’ils voient! Ils veulent des réponses quantifiables et surtout documentées. Le problème des RH, c’est qu’elles ont en face d’elles des comptables, des ingénieurs, des actuaires ou pire… des entrepreneurs! L’entrepreneur est un saint Thomas puissance 10… Il ne croit que ce qu’il voit donc il veut des preuves et des résultats. Des corrélations entre ce que vous présentez et les actions qui vont en découler. Un exemple?
Cher Monsieur Entrepreneur,
Si vous investissez aujourd’hui X milliers de dollars dans ce programme de formation Y en collaboration avec l’université Z, nous pourrons recruter dans cinq ans autant de XX et de XY ce qui nous permettra d’équilibrer notre démographie interne et envisager de supporter une augmentation de la productivité de 15 % qui nous donnera +5 % sur l’EBITDA (vous venez en passant de vous garantir une augmentation de salaire de 20 % tellement ce +5 % sur l’EBITDA va le mettre en transe…). La direction des RH sera capable de livrer ceci avec un budget estimé à XX milliers de dollars dont vous bénéficierez un retour sur investissement de 3 % sur huit ans.
Sachez que, dans cet exemple, le programme de formation peut être remplacé par une politique de recrutement sur la diversité, la révision des programmes d’avantages sociaux ou de retraite ou la renégociation avec les syndicats. À vous de choisir les bonnes batailles. Bons calculs!
Nathalie Francisci, Adma, CRHA
Vice-présidente exécutive
chez Mandrake Groupe Conseil