Ils s’appellent Julie, Martin ou René, ce sont vos habitués et vos plus gros consommateurs de ressources humaines. Vous les connaissez par cœur et leurs histoires aussi. Candidats incompétents, employés aux mauvaises attitudes, les jeunes générations sont feignantes, les baby-boomers sont dépassés; à les entendre, sans eux le département s’écroulerait. Jusqu’au jour où… Martin a un accident de ski qui le cloue au lit en position horizontale pendant 8 semaines (fait vécu, mais toute ressemblance avec des personnes de votre organisation est purement fortuite et sera démentie par l’auteure).
Ce beau lundi matin, Martin fait savoir qu’il a eu un léger accident de ski qui devrait le clouer à domicile pendant quelques jours, une semaine au plus (ça c’est avant qu’il ne parle au physiothérapeute…). Vous recevez un appel aux ressources humaines et, en bon partenaire d’affaires que vous êtes, vous prenez contact avec son patron et décidez d’aller faire un tour sur place. Son patron vous informe que c’est la pire période, on est en retard sur les projets et les ventes ne décollent pas et il ne sait comment il va faire pour secouer cette équipe de « bras cassés ». Vous ne relevez pas les « bras cassés », mais vous vous dites le sourire en coin que, pour l’instant, celui qui a les bras cassés n’est pas ceux que l’on pense. Enfin bref, vous vous dirigez vers cette soi-disant équipe maudite.
À votre arrivée, vous êtes accueilli par l’adjoint de Martin. Posé, il semble avoir la situation bien en main et bien qu’il reconnaisse que la période est tendue, il vous présente le plan d’action qu’il avait soumis à Martin il y a deux mois. Malheureusement, le plan d’action n’a pas été exécuté et, comme le moral des troupes est plutôt bas, les ventes ne suivent pas. Disons qu’en l’espace de deux heures, vous comprenez que le vrai problème est ailleurs. Vous le mesurerez encore plus cruellement quand dans le mois et demi qui a suivi (on remerciera plus tard le physiothérapeute), le projet a été remis sur les rails, les ventes reprennent et l’ambiance est largement plus détendue et agréable.
Certains gestionnaires consomment des candidats et leurs ressources humaines comme d’autres changent de chemise. Ils ont toujours de bonnes raisons à invoquer pour justifier et motiver leur décision de se défaire d’un membre de leur équipe (incompétence, incompatibilité avec les collègues, performance moyenne, etc.), quand ce n’est pas les démissions en séries et les burn out qui font rage. Cela peut prendre plusieurs mois ou années avant que le vrai problème soit identifié : leur mode de gestion. Avez-vous remarqué combien certains gestionnaires ont un taux de roulement particulièrement élevé par rapport à d’autres et combien il est difficile de recruter pour eux? Le marché ne se trompe pas et il y a rarement de fumée sans feu. Il est très clair que la réputation d’un gestionnaire peut gravement nuire à un processus de sélection et faire exploser vos coûts de recrutement et votre prime d’assurance collective…
Fait intéressant, certaines organisations tendent à implanter dans leur structure de rémunération des éléments visant à reconnaître la qualité du leadership en liant une portion de la bonification au taux de rotation de l’équipe et au climat. Encore faut-il définir un bon et un mauvais taux de rotation selon la nature du travail et de l’industrie. Attention « one size doesn’t fit all » en la matière!
Les Martin, Julie ou René sont ce que l’on peut qualifier de gestionnaires toxiques. Comment les démasquer et en venir à bout? Il faut admettre que ce n’est pas facile, car ils sont généralement assez intelligents pour ne pas se laisser avoir comme des débutants, et les accidents de ski ne sont pas si fréquents…
On peut toutefois prendre en considération plusieurs facteurs et procéder par recoupements en posant quelques questions telles que :
- Quel est le taux de roulement? A-t-il augmenté depuis l’arrivée de untel? (Assurez-vous de mesurer le taux de roulement global et par départements et notez dans vos graphiques les événements importants qui peuvent affecter une équipe comme le départ et l’arrivée d’un nouveau patron, le changement de système technique, les nouvelles technologies, un déménagement, une nouvelle stratégie à implanter, etc.)
- Quel est le climat de travail et comment le mesurez-vous dans les différentes sphères de l’organisation? D’une unité d’affaires à une autre, la température peut varier considérablement.
- Comment circule l’information? Quelle est la qualité de la communication? Les gestionnaires de premier niveau comprennent-ils la vision et la direction vers lesquelles ils doivent se diriger?
- Quel est le niveau de responsabilisation des employés? Écoutez-les dans leurs propres mots et faites parler les jeunes stagiaires… Plus les termes et expressions « ils », « je fais ce que je peux », « encore une nouvelle affaire » (TI, procédé, mode de gestion), « ce n’est pas notre faute » sont répandus, plus vous avez un potentiel cas de gestionnaire nuisible ou toxique.
- Faites parler les démissionnaires et misez sur les entrevues de départ. Rencontrez-les de manière informelle (lieu neutre ou autour d’un café) et tentez de comprendre au-delà de ce qu’ils ne veulent pas vous dire.
- Soyez attentif à ce que vous dit votre recruteur externe. Il a souvent le pouls réel du marché et il sait avant vous ce qui se dit sur votre entreprise et sur certains de vos gestionnaires.
Alors que fait-on des Martin, Julie et des René? On les confronte ou on les congédie? Je fais partie de ceux qui croient que ces patrons nuisibles souffrent aussi. En fait, ce sont peut-être eux qui ont besoin d’aide? Par contre, je les préfère en thérapie plutôt que dans l’entreprise (vous pouvez arrêter de piquer frénétiquement la poupée vaudou à l’effigie de votre patron avec des aiguilles en espérant lui rendre la monnaie de sa pièce!).
Selon Isabelle Nazare-Aga, auteure du livre Les manipulateurs sont parmi nous, « si vous avez le sentiment de ne plus être libre, si vous parlez constamment d’une personne quand elle n’est pas là et si, en sa présence, vous n’êtes pas serein, ou que vous vous comportez comme un petit garçon ou une petite fille et plus comme un(e) adulte, vous avez probablement affaire à un manipulateur. De même pour ces gens dont vous mettez cinq jours à vous remettre d’un simple appel de leur part. »
Le rôle des ressources humaines ici est clé et critique. Plus vous aurez d’informations et de matériel, plus ce sera facile de présenter le contexte et la situation. Hors de question de mettre à risque les équipes ou les subordonnés en vous servant d’eux : expliquez, démontrez, confrontez et agissez. Ne laissez pas une situation s’envenimer. Souvent ces individus sont incapables de gérer une équipe. Ils ont été promus parce qu’ils étaient les meilleurs vendeurs ou qu’ils maitrisaient un procédé ou une technologie spécifique. Comme si la seule option c’était de progresser au niveau vertical. Du coup, ils sont parachutés souvent sans formation et sans réel accompagnement, mais avec une belle augmentation et un titre ronflant. C’est à ce moment précis que tout dérape. Absence de modèle ou de mentor, peu ou pas d’encadrement, une certaine tendance pour l’abus de pouvoir et on est parti pour la catastrophe.
Les patrons toxiques ne souffrent pas tous de pathologies narcissiques ou déviantes, certains oui mais ils sont en fait peu nombreux. Les autres sont simplement incompétents dans leur rôle, et c’est votre responsabilité et celle de votre organisation d’y remédier, car il est intolérable de fermer les yeux sur toute forme d’abus de pouvoir ou d’intimidation qu’elle soit pathologique ou non. Bob Sutton, l’auteur du livre No Asshole Rule est encore plus catégorique : « Montrez-leur la porte! » (en anglais : « People who continually behave that way need serious reform or should be shown the door.»)
N’attendez pas le prochain accident de ski pour agir et occupez-vous du « cas Martin » dès lundi!