Une journée dans la vie d’un recruteur : Rencontre du 3e type

Nous ne sommes pas dans un film de Steven Spielberg, mais bel et bien dans des édifices des centres-villes de Toronto et de Montréal. Scènes de la vie « non ordinaire » de quelques « chasseurs de têtes » professionnels au sein du cabinet de recrutement de cadres pour lequel je travaille. Aujourd’hui, une trentaine de jeunes étudiants, bacheliers en dernière année en administration, marketing ou génie se disputent l’accès au programme CEO X 1 Jour.

En résumé, il s’agit d’un programme visant à recruter un étudiant pour le « matcher » avec un CEO qui passera une journée complète avec lui. Imaginez-vous, à 22 ou 23 ans, avoir l’opportunité de passer une journée entière avec le CEO de l’entreprise que vous admirez… Ils sont tous arrivés ce matin, les yeux pétillants, l’estomac un peu noué et des rêves plein la tête.

 

Rencontres du troisième type

Ces représentants de la plus récente version de la génération Millenium ne sont pas des extra-terrestres. Pas de cheveux dans les airs ni de tatouages ni de piercing (enfin… apparents au demeurant). Ils sont tous très « corpos » dans leur style et déterminés à être sélectionnés. Ils ont bien sûr déjà passé les étapes de présélection (dossier, entrevue téléphonique et tests d’évaluation de leur leadership). Certes, nous avons devant nous la crème de la crème.

Ils sont immédiatement mis en condition et jetés dans le bain du processus de sélection. Un peu comme s’ils étaient des CEO en mode évaluation, ils passent à travers les mêmes étapes ou presque à l’exception de quelques travaux d’équipe et cas pratiques qui leur sont soumis. C’est à ce moment que je me suis demandé comment s’en tireraient aujourd’hui nos candidats à des postes exécutifs si on les mettait dans ce genre de situation. Par groupe de 5 candidats (tous en compétition les uns avec les autres), ils disposeraient d’une heure pour analyser un cas pratique et en faire la présentation aux autres groupes. Cela m’a ramenée à mes premières années en recrutement en Europe lorsque les entrevues de sélection de groupe étaient à la mode. Bref, imaginez cinq CEO ou CFO tous en compétition les uns avec les autres pour la même job. Je demande à voir les résultats… Dans le cas présent, j’ai été non seulement agréablement surprise de leur capacité à rapidement s’entendre sur les responsabilités de chacun, mais aussi de voir comment ils se sont organisés et ils ont structuré leur travail pour analyser et préparer leur exposé. Facile, me diriez-vous, cette génération est habituée depuis son plus jeune âge aux travaux d’équipe! Pourtant, on dit souvent que la jeune génération est égocentrique et individualiste. Je peux vous dire que cette génération du 3e type n’avait rien de cela, même avec la pression de performer pour faire partie des « élus ». J’ai vu dans ces jeunes une grande générosité, un sens du partage, du respect et une grande écoute. Ceux qui se sont démarqués par leur leadership avaient une attitude ouverte et le sens de la rétroaction positive. J’aurais aimé les filmer et diffuser quelques extraits à certains gestionnaires expérimentés sur les meilleures pratiques de gestion. On était très loin des clichés généralement véhiculés sur cette tranche de génération.

 

Une génération, deux continents, un monde de différence

Fotolia_7091237_XS-1.jpgUne fois rendus à la deuxième partie de la journée en entrevues individuelles, ils n’ont rien perdu de leur énergie ni de leur détermination. Ils ont toujours les yeux pétillants et possiblement quelques papillons dans le ventre, mais ils sont en contrôle, calmes et pas même les mains moites! J’ai découvert des jeunes passionnés, impliqués et engagés dans leur communauté, cumulant expérience professionnelle, stages et implication sociale. Plusieurs ont participé à des voyages humanitaires à l’international, tous sont impliqués dans les associations de leur université, et 50 % ont déjà été recrutés par des grandes entreprises après leurs études ou sont engagés dans un programme de stage intensif. Je ne peux qu’avoir une pensée pour leurs jeunes confrères européens – espagnols, italiens ou français – qui préfèrent fuir leur pays pour cueillir des fruits en Australie ou vivre le rêve des « grands espaces canadiens ». On parle déjà d’une génération perdue qui ne reviendra pas de sitôt sur ses terres natales. La différence avec les vagues précédentes d’émigrations italiennes, portugaises, grecques ou espagnoles, c’est le niveau d’éducation bien plus élevé de ces jeunes, majoritairement diplômés universitaires.

Les jeunes que nous avons devant nous ont bien plus confiance en leur avenir. Ils ont autant confiance dans leurs institutions que dans leur capacité. Ils sont déterminés à obtenir le meilleur, y compris les meilleures entreprises et les meilleurs jobs.

 

La quête des meilleurs employeurs

Fait intéressant et, de plus, en cohérence avec une récente étude menée par Harvard et le professeur Boris Groysberg « Headhunters Reveal What Candidates Want » :  les candidats sont plus intéressés par l’historique de succès de leur futur patron et de l’entreprise qu’ils vont rejoindre que par le salaire. À l’inverse, moins l’entreprise a une bonne réputation et du succès, plus leurs attentes de rémunération seront élevées pour compenser les risques de s’y joindre. On peut dire qu’ils ont retenu la leçon de Warren Buffet : «  Si l’entreprise perd de l’argent, je saurai être compréhensif, mais si elle perd sa réputation, je serai impitoyable! » La réputation et l’éthique corporative, la responsabilité sociale et environnementale demeurent au cœur de leurs critères de sélection. J’ai bien dit : de-leurs-critère-de-sélection, car ils sont les recruteurs de leur futur employeur aussi… Quant à la fameuse question « conciliation travail-famille », les jeunes hommes comme les femmes sont déterminés à avoir une vie équilibrée et un corps sain dans un esprit sain. Pour eux, l’équilibre est essentiel, mais il ne rime pas forcément avec des horaires réduits et des vacances à rallonge. Ce qui compte, c’est l’intérêt du travail ainsi que la qualité des équipes et de leurs supérieurs.

En résumé, une journée non ordinaire pour notre équipe de recruteurs de cadres. Rafraîchissante, inspirante et surtout qui me laisse croire que cette future génération a tous les atouts pour prendre la relève et amener un nouveau leadership. J’espère qu’ils ne se perdront pas en cours de route… Soyons attentifs à ces jeunes du troisième type qui pourraient bien coiffer au poteau leurs aînés bien plus vite qu’on l’imagine…

 

À lire :

http://blogs.hbr.org/2014/01/headhunters-reveal-what-candidates-want/

http://www.atlantico.fr/decryptage/comment-crise-zone-euro-accelere-flux-migratoires-cree-fuite-cerveaux-catherine-wenden-394393.html

http://www.lemonde.fr/enseignement-superieur/article/2013/07/09/recherche-la-france-est-elle-victime-d-une-fuite-des-cerveaux_3442654_1473692.html

 

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